mardi 15 avril 2014

En mer (Toine Heijmans)

Le père et la mer.

Toine Heijmans est un journaliste hollandais. Après quelques ouvrages professionnels, voici son premier roman : En mer. Couronné du Médicis étranger, ben ça alors. Et tous les blogs en parlent.
Alors on se méfie un peu du roman facile à la mode mais on essaye quand même, on commence d'abord par l'extrait numérique ebook des premières pages et puis on clique vite sur acheter la suite car dès les premières pages on a lu, on a vu, que le journaleux écrivait plutôt bien. Et même très bien.
L'histoire d'un homme, l'histoire d'un père. Visiblement pas très à l'aise, pas tout à fait à sa place, dans son rôle social, de mari, de père ...
Pas mal dépressif le gars. Il a pris un congé sabbatique et est parti faire un tour en mer de quelques mois. Il revient au port et pour la dernière étape, il a embarqué sa fille Maria qui était venue le rejoindre. Reste plus que deux jours de mer avant la dernière escale.
Mais dès les premières pages, on sent que ça va très très mal se passer. D'ailleurs il le dit !

[...] Jusqu’à présent tout s’était bien passé, et tout allait bien se passer.

Exactement.

[…] Ce n’était pas très malin. Je fais parfois des choses dont je sais qu’il vaudrait mieux ne pas les faire. Mais je les fais quand même. Je me suis souvent demandé pourquoi il en était ainsi.
[…] Un bateau peut appareiller, mais finit toujours par rentrer au port. C’est ainsi que ça fonctionne partout dans le monde. Les seuls bateaux qui restent dehors sont ceux qui ont coulé. Je suis d’ailleurs resté dehors bien assez longtemps.

Il part en vrille le bonhomme. Dépressif, ça on a dit. Maniaque et un brin obsessionnel aussi.

[…] À bord, il faut être routinier et ordonné, ça rassure. Les amarres dans le coffre aux ancres. Café à huit heures. Les bottes dans la cale. Transcrire régulièrement la position dans le journal de bord. Écouter les prévisions météo sur la VHF. Ranger le pavillon quand le soleil se couche. Mettre le téléphone dans le four lorsque l’orage menace. On survit par routine. Lorsque tout va mal, mieux vaut savoir où tout se trouve. Sans routine, les pensées se bousculent. On pense à tout à la fois. Aux nuages, au four, au café, aux bottes, au pavillon. Au journal de bord, aux amarres. À ta fille qui dort dans la cale avant, la petite cale.

Avec sa fille Maria, il veut bien faire. Prouver à la face du monde en général et à celle de son épouse Hagar en particulier qu'il est un bon père, un bon mari, un homme responsable, un bon gars bien à sa place dans la société. Une obsession qui rappelle un peu celles de David Vann.

[….] Je dois réfléchir. Je dois décider après mûre réflexion. Je dois agir en adulte. Hagar disait : « Je voudrais tellement que tu sois un adulte. Un homme qui prend des décisions. » Je suis un adulte, Hagar. Je vais te le montrer.
[...] Les capitaines ne peuvent pas prendre de mauvaises décisions, mais ils le font tout de même. Je me disais: Entre un père et un capitaine, il n'y a guère de différence. 

On est déjà presque arrivés au port et la petite Maria n'est plus sur le bateau. Et maintenant c'est presque le vent d'hiver de Laura Kasischke qui souffle sur la mer du nord.
Mais Toine Heijmans se démarque habilement de ces ombres menaçantes qu'auraient pu représenter D. Vann et L. Kasischke. D'abord par son écriture, minimaliste, obsessionnelle qui traduit à merveille les raisonnements morbides de son personnage. Juste assez proche pour qu'on s'y identifie avec un peu d'empathie, juste assez tordu pour nous emmener avec lui au fond des eaux du nord.
Et puis y'a le récit de ce gars dont visiblement les plombs ont sauté : pression sociale, professionnelle, familiale, ... notre société moderne est sans pitié. Un véritable rouleau compresseur. Tout comme les rouleaux de la mer qui ne connait pas d'états d'âme. Et malheur à celui qui ne garde pas la tête hors de l'eau.

[...] Mon sort est entre les mains de la mer. Qu'est-ce que ça peut lui faire, à la mer, si j'échoue ? Jusqu'à présent, je voyais dans la mer une compagne, une amie pour faire route ensemble. [...] Mais la mer ne peut pas être une amie. L'eau n'a ni sentiment ni histoire. Elle ne fait rien, elle est, c'est tout. Si elle t'assassine, si elle te noie, il n'y a là rien à rechercher que ta propre stupidité. La mer n'est ni une amie ni une ennemie.
C'est un fait: tu es là dans l'eau. Que tout ton avenir en dépende, le tien et celui des autres - l'eau n'y peut rien. L'eau s'en fiche complètement. [...] L'homme veut se montrer plus fort que l'eau, alors qu'il ne s'agit que d'eau: de l'eau sans pensées, sans arrière-pensées.

Bien sûr on comprend assez vite où est passée la petite Maria mais Toine Heijmans réussit à nous sortir de l’eau une fin étonnante, pleine d'empathie tragique pour son personnage.
150 pages, denses, ramassées qui vont droit à l'essentiel, sans varier de cap.
Quelques pages sur un homme qui part en vrille, un père, un mec broyé par les pressions de notre société. Mais ces pages semblent également trouver un écho chez les filles puisque beaucoup de blogueuses en parlent.


Pour celles et ceux qui aiment se faire promener en bateau.
D'autres avis sur Babelio. Lo en parle, Kathel aussi.


1 commentaire:

Kathel a dit…

J'ai beaucoup aimé, le souvenir en est encore bien présent !