jeudi 7 novembre 2013

Indian creek (Pete Fromm)

Le trappeur attrapé.

Après les vacances bobo de Sylvain Tesson au bord du lac Baïkal, après la folie meurtrière de Julius dans le Maine,  voici notre troisième épisode de notre petite série sur les ermites en forêt.
Dans le même style que Sylvain Tesson, voici Indian Creek, l'histoire de Pete Fromm, un récit autobiographique, une sorte de journal romancé(1).
Je crois bien que c'est Cathe qui nous a mis sur la piste, relayée par Yan et beaucoup d'autres.
Tout le monde connait bien les jobs d'été pour étudiants mais on parle beaucoup moins des jobs d'hiver : Pete Fromm n'a pas vingt ans quand on lui propose de passer un hiver en pleine montagne (ah, chic ! revoici le Montana, Missoula et la Lolo Pass vers l’Idaho !).
Les gardes forestiers cherchent un volontaire pour surveiller un alevinage de saumons destinés au repeuplement des rivières. Il faut passer les sept mois d'hiver tout seul là-haut, surveiller le bassin, briser la glace de temps en temps. C'est tout.
Désespérément tout.
Bêtement, sur un coup de tête, Pete Fromm accepte, lui qui n'a jamais fait cuire plus qu'un hot-dog, qui n'a jamais coupé de bois et encore moins chassé.
Autant dire que les premières pages sont désopilantes où l'on assiste à l'implantation du jeune apprenti trappeur qui ne connait de la trappe que les quelques livres qu'un pote lui a prêtés ! Les préparatifs du jeune étudiant des villes sont à se plier de rire.

[...] J'ajoutai enfin une centaine de livres de pommes de terre en déclarant que j'irais creuser une cache pour les empêcher de geler. Je n'avais en fait pas la moindre idée de la manière dont cela se faisait, mais le mot 'cache' apparaissait sans cesse dans mes histoires de trappeurs. Le mot sonnait bien. 

Et tout comme les rangers qui l'accompagnent le premier jour pour son installation, on a bien envie de détourner les yeux :

[...] Il te faudra sans doute sept cordes de bois, m'expliqua-t-il. Fais attention à ça. Tu dois t'en constituer toute une réserve avant que la neige n'immobilise ton camion.
Je ne voulais pas poser cette question, mais comme cela semblait important, je me lançai :
- Heu ... C'est quoi, une corde de bois ? 
[...] Lorsqu'ils découvrirent que je n'avais jamais utilisé de tronçonneuse, ils détournèrent carrément le regard. [...] Je crois qu'ils essayaient de ne pas s'attacher à moi, comme des soldats aguerris avec une jeune recrue qui, de toute façon, ne leur survivra pas.

Mais très vite la neige arrive, les derniers chasseurs quittent le coin et Pete se retrouve seul avec un petit chien, des kilos de haricots, des sacs de riz et ses fameux saumons (enfin au début de l'hiver ce ne sont encore que des œufs de saumons).
Au fil de l'eau de l'Indian Creek, le roman de Pete Fromm se révèle bien plus que la simple et amusante histoire d'un apprenti trappeur : on y retrouve le style inimitable, simple et naturel, de ces américains qui se racontent eux-mêmes avec humanité, humour et dérision.
Indéniablement ces gens-là ont un rapport à la nature qui n'est pas le même que le nôtre (leur nature n'est pas la même non plus !). Peut-être l'héritage des gènes des premiers colons aventureux ou courageux ? Ou plus sûrement, la perpétuation et le partage d'une tradition et d'une culture (et leur culture n'est pas la même que la nôtre non plus, na !).

[...] J’avais découvert qu’il était possible de rêver en étant éveillé, un stylo à la main.

Au fil des premiers mois d'hiver, le jeune Pete commet bévue sur bévue (voire même de sacrées conneries) et on retrouve donc beaucoup d'humilité (et d'humour et d'auto-dérision on l'a dit) dans le récit de cet apprentissage de la vie solitaire, ennuyeuse et sauvage.
Tout comme au cours du séjour russe de Sylvain Tesson, on s'aperçoit que l'on n'est jamais bien seul perdu au milieu de nulle part : nombreuses seront les visites (trappeurs, chasseurs, gardes forestiers) même en plein cœur de l'hiver. Des visites parfois inopportunes et agaçantes, souvent inespérées et enrichissantes.
Et le jeune Pete Fromm ne reçoit pas tout le monde avec les mêmes égards :

[...] Ces deux-là je les aimai bien. Ils me rappelaient ce que j'étais moi-même sept mois plus tôt, et ils ne prétendaient pas connaître les montages. Bienheureux ignorants qui ne faisaient pas semblant, contrairement à ce qui paraissait être devenu une attitude obligée chez les chasseurs.

Et puis bien sûr viendra le printemps :

[...] Le beau temps s'installa pendant quelques jours et je commençais à faire des marches encore plus longues. Dès qu'il faisait plus de cinq ou six degrés, j'étais souvent obligé de nouer ma chemise autour de ma taille. Après ce long hiver, j'avais failli oublier qu'il finirait par faire chaud de nouveau. Un jour, les températures atteignirent les quinze degrés et j'avançai en titubant sous la chaleur.

Et avec le printemps, le dénouement et l'épilogue sur les fameux saumons (on vous laisse découvrir).
Mais ce n'est pas tout ! Pete Fromm nous gratifie d'une postface vraiment pleine d'émotions (une fois lu le récit) et qui vaut à elle seule la lecture du bouquin ou plutôt qui vient parfaitement le couronner.

[...] J'étais venu ici pour avoir une histoire à raconter, mais il se passa un certain temps avant que je ne trouve quelque chose à dire.

Dans ces quelques pages de bonus il nous retrace les débuts de sa carrière d'écrivain (on est plié de rire)(2) et le retour bien des années plus tard (plutôt émouvant) sur les lieux de son séjour hivernal, un lieu devenu culte après le succès de son bouquin :

[...]  Le type - un bénévole des Eaux & Forêts - répéta sa question :
- Vous cherchez l'emplacement de la tente de Pete Fromm ?

On va finir par prendre goût à ces histoires d’ermites perdus au fond des bois !

(1) - Pete Fromm a écrit son bouquin en pleine maturité à 35 ans, sur la base des carnets qu'il tenait à jour pendant son séjour d'étudiant en montagne.
(2) - et donc comment cette aventure de jeunesse et de trappeur, cette histoire à raconter plus tard, se transforma pour lui, bon gré mal gré, en matière à littérature (vraiment très intéressant !)


Pour celles et ceux qui aiment la montagne.
L'avis de Cathe, celui de Yan et d'autres sur Babelio.


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