mercredi 17 avril 2024

Erectus (Erik Juszezak d'après Xavier Müller)


[...] Il est plus vieux qu'un homo sapiens.

●   L'auteur, l'album (103 pages, 2024) :

Erik Juszezak signe un album bigrement intéressant avec cet Erectus adapté d'un roman de Xavier Müller paru en 2018.
Le dénouement "ouvert" laisse présager d'épisodes à suivre (tout comme ce fut le cas pour les romans de Müller).

●   L'intrigue :

Un virus inconnu infecte les animaux et les fait régresser à un stade de l'évolution très antérieur.
Ainsi un éléphanteau d'un parc africain se métamorphose en gomphothérium, l'ancêtre de nos mammouths et éléphants, une bestiole qui vivait il y a plusieurs millions d'années et dont nos musées conservent quelques défenses et même squelettes.
Après différents animaux, le virus Kruger (du nom du parc africain) finit évidemment par se transmettre à l'homme : les victimes se retrouvent en Homo Erectus, notre ancêtre très futé qui s'est levé debout et a sans doute inventé le feu et les prémices du langage.
Notre société se retrouve vite partagée entre ceux qui voudraient apporter des "soins" à nos congénères, les partisans d'une incarcération en réserve et ceux d'une éradication plus définitive de ces monstres.

●   On aime bien :

❤️ On aime bien le soin apporté à la vraisemblance du scénario avec une mise en place progressive qui rappelle un peu celle de la série tv Zoo ou le film Le règne animal. Xavier Müller est un scientifique et peaufine la genèse de toute cette histoire. 
❤️ Le bouquin a été écrit en 2008 bien avant la pandémie de Covid mais l'album est plus récent. Ce qui explique sans doute que l'histoire se focalise un moment sur un mystérieux labo P4 d'où se serait échappé le fameux virus Kruger. Et depuis le Covid, on n'a plus trop envie de railler ces élucubrations.
❤️ On apprécie aussi beaucoup le clin d’œil intelligent au zoo de Vincennes (où sont parqués les Erectus français), zoo qui de sinistre mémoire avait "accueilli" quelques étranges spécimens au temps béni des colonies : on se souvient du remarquable petit bouquin de Didier Daeninckx, Cannibale.
😕 Le grincheux trouve sujet et scénario tout à fait passionnants mais l'adaptation, peut-être trop fidèle au bouquin original, manque de caractère : l'album a un goût de trop ou de trop peu et le dessin, clair et agréable mais très classique, manque un peu de punch ou de modernité. Quelques planches ici.

Pour celles et ceux qui aiment les bestioles préhistoriques.
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mardi 16 avril 2024

La route (Manu Larcenet)


[...] Alors d'accord.

●   L'auteur, l'album (156 pages, 2024) :

Manu Larcenet avait frappé fort en 2009 avec un polar en 4 tomes, Blast : des planches composées de grands aplats noirs qui donnaient pourtant des images presque lumineuses. 
C'était déjà une histoire de sdf errant sur les routes.
Il a également adapté en albums, le célèbre Rapport de Brodeck, encore une histoire bien sombre.
Bref, le destin de Larcenet était écrit : il lui fallait de toute évidence adapter le roman culte de Cormac McCarthy.
C'est chose faite avec cet album qui en reprend le titre, La route tout simplement.

Il faut noter que les éditions Points ont profité de l'occasion pour ré-éditer le bouquin de McCarthy en version collector illustrée de quelques planches de Larcenet : une belle occasion de lire ou relire le texte définitif de McCarthy.

●   On aime beaucoup :

❤️ On voit tout de suite ce qui a pu séduire Larcenet dans ce texte rapidement devenu mythique.
Le sombre récit de McCarthy laissait les rares et pauvres dialogues se dissoudre dans une prose puissante. Les planches en noir et blanc de la BD sont à la hauteur de la puissance du récit et les bulles y retranscrivent les rares dialogues presque mot pour mot.
❤️ En un peu plus de 150 belles et grandes planches, Manu prend tout le temps de développer fidèlement le roman avec ses scènes les plus notables : le coca, le revolver, le bunker, tout y est.
❤️ Un complément essentiel au livre où l'enfant prend toute sa place.

●   L'intrigue :

La fin du monde a eu lieu. 
Quelques survivants, quelques moribonds, errent sous la pluie sur les routes couvertes de cendres, comme cet homme et son enfant.
Ils vont vers le sud, cherchant un peu de nourriture, en évitant quelques misérables hordes à la Mad Max.
[...] Il sera de quelle couleur l'océan ?
Et quelques planches plus loin :
[...] Je te demande pardon ... L'océan n'est pas bleu.

Pour celles et ceux qui aiment les survivants.
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La route (Cormac McCarthy)


[...] Que la mort et ses jours à elle aussi seront comptés.

●   L'auteur, le livre (288 pages, 2024, 2006 en VO) :

Pourquoi revenir sur ce monument littéraire sur lequel tout a été dit (et sans doute son contraire aussi) ?
Parce que les éditions Points ont eu la bonne idée de profiter de la BD de Manu Larcenet pour ressortir le texte intégral de Cormac McCarthy illustré de quelques planches de Larcenet, un collector.
L'occasion de lire ou relire ce monument littéraire qu'est devenu La route, et bien sûr de découvrir ensuite la superbe BD que Manu Larcenet en a tiré.

●   On aime vraiment très beaucoup :

❤️ Un récit d'une noirceur sans fond faite de désespoir et de solitude.
Il n'y a plus de noms, même plus de mots, il n'y a que l'homme et le petit, une solitude insondable, plus personne à qui parler, même les dialogues entre l'homme et le petit sont rapportés dans un style indirect.
Après plusieurs années d'errance, ce n'est même plus la fin du monde : le monde est désormais terminé, on est déjà au-delà.
La question n'est plus de survivre, comment survivre.
Non, la question est désormais : faut-il vraiment survivre ? Pour quoi survivre ?
Je crois bien que c'est le premier bouquin où je suis tenté, je veux dire vraiment tenté, d'aller jeter un œil sur les dernières pages pour voir si une lueur d'espoir pouvait s'y cacher ....
❤️ Le génie de McCarthy c'est d'avoir écrit son bouquin avec une seule image, celle de cet homme et son petit sur la route avec leur caddie, une image qu'il nous repasse sans cesse, encore et encore, pendant toutes ces pages.
Mais quelle image puissante ! Une image qui vaut un Pulitzer, une image si pleine de sens désespéré, si lourde de terribles sous-entendus, qu'elle imprègne durablement le lecteur et même tout le monde littéraire.
Il y a du Moby Dick dans cette image.
Quelques mots, quelques lignes et tout est dit :
[...] Une heure plus tard ils étaient sur la route. Il poussait le caddie et tous les deux, le petit et lui, ils portaient des sacs à dos. Dans les sacs à dos il y avait le strict nécessaire. Au cas où ils seraient contraints d'abandonner le caddie et de prendre la fuite. Accroché à la barre de poussée du caddie il y avait un rétroviseur de motocyclette chromé dont il se servait pour surveiller la route derrière eux.
❤️ Comme les temps qui y sont décrits, ce roman a quelque chose de définitif, qui condamne tous les récits passés et à venir de survivalisme et qui surtout condamne définitivement notre soi-disant humanité.

●   L'intrigue :

La fin du monde a eu lieu. On ne sait pas comment, mais cela commence même déjà à dater, d'une bonne dizaine d'années. 
Quelques survivants, quelques moribonds, errent sous la pluie sur les routes couvertes de cendres, comme cet homme et son enfant.
Ils vont vers le sud, cherchant un peu de nourriture, en évitant quelques misérables hordes à la Mad Max.
[...] Ils attendaient, assis sur le remblai. Rien ne bougeait. II passa le revolver au petit.
Prends-le toi, Papa, dit le petit.
Non. Ce n'est pas ce qui était convenu. Prends-le toi.
II prit le revolver et le garda sur ses genoux et l'homme descendit.
Ah cette terrible chorégraphie du revolver avec l'enfant, plusieurs fois répétée ...
[...] Quand on sera tous enfin partis alors il n'y aura plus personne ici que la mort et ses jours à elle aussi seront comptés. Elle sera par ici sur la route sans avoir rien à faire et personne à qui le faire. Elle dira : Où sont-ils tous partis ? Et c'est comme ça que ça se passera. 

Pour celles et ceux qui aiment les survivants.
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lundi 15 avril 2024

La casse (Eugenia Almeida)


[...] Il ne faut pas que ça prenne de l’ampleur..

●   L'auteure, le livre (208 pages, 2024, 2022 en VO) :

Eugenia Almeida, c'est cette auteure argentine, journaliste et poète, qui avait fait une entrée remarquée en littérature avec L'autobus en 2007 suivi de La pièce du fond en 2010.
Il y eut également L'échange en 2016, mais c'est une auteure avare de ses mots (et ses bouquins sont d'ailleurs peu épais).
La voici de retour avec La casse, un roman noir urbain, si l'on veut lui coller une étiquette.

●   On aime beaucoup :

❤️ Au fil de ses ouvrages Eugenia Almeida semble s'être donné comme but d'illustrer la théorie du chaos, celle du fameux effet papillon. Quand un petit événement ordinaire et insignifiant va venir bouleverser l'ordre des choses. 
Comme ce fameux autobus qui un beau jour de 2007 ne s'arrêta plus au village.
Et ce qui intéresse l'auteure ce sont les répercussions de ces événements d'apparence anodins sur les comportements, la réaction en chaîne, l'emballement nucléaire, les conséquences de l'effet papillon.
[...] Chercher le point de bascule où tout a commencé à s’effondrer.
❤️ Il faut accepter de se laisser porter par la prose très elliptique de l'auteure qui ne s'embarrasse ni d'explications ni de descriptions. Le lecteur aura un peu de mal au début à situer tel ou tel personnage, savoir qui parle, qui a fait quoi, qui vient d'où, et bien sûr qui a une dette envers qui ... 
Mais peu à peu la musique d'Eugenia Almeida donnera le tempo et le roman finira par trouver son rythme.
On est pas vraiment dans un polar, un roman noir peut-être, à coup sûr le portrait au vitriol d'une Argentine gangrenée par la corruption.

●   L'intrigue :

Deux petits voyous qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas et se font dessoudés.
Une voiture qu'il ne fallait pas voler. Pas celle-là.
[...] – Je ne t’ai rien demandé.
– Je sais. Mais j’ai pensé qu’il fallait leur mettre la pression. Pour que les choses soient claires.
– Mais tu ne leur as pas mis la pression, Noriega. Tu leur as collé quatre balles dans la peau. Chez eux. Et tu as foutu un bordel monstre.
– Ne pas les punir, ça revenait à dire que tout le monde peut faire ce qui lui chante.
Deux ou trois petits grains de sable, d'une apparence ordinaire et insignifiante, qui vont déclencher un sacré bazar.
Un chef de gang qui tient une casse de voitures (celle du titre), un patron de police ripoux, un amateur de vieilles voitures, un ministre corrompu, une voyante et un jaloux, des flics et des voyous, ...
Bien peu en réchapperont car bientôt les cadavres vont tomber comme des dominos, comme les conséquences imprévisibles du chaos.

Pour celles et ceux qui aiment les vieilles bagnoles.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions Métailié.

dimanche 14 avril 2024

Obsolète (Sophie Loubière)


[...] Tout ça ne serait qu’un immense canular.

●   L'auteure, le livre (528 pages, 2024) :

Sophie Loubière, journaliste et auteure de polars vient de signer avec Obsolète, un roman d'anticipation, une dystopie pour reprendre ce qui qualifie ce genre très à la mode mais dont on redoute souvent la trop grande facilité.
Mais quelques très bons avis [1] [2] [3] nous ont finalement convaincus de plonger dans ce conte philosophique et de répondre à l'appel du futur de l'auteure qui nous expédie 240 ans après le 1984 de George Orwell.
En 2224, Big Brother est devenu écolo : bien obligé pour tenter d'enrayer l'extinction de l'humanité.
[...] Alors, on s’était appliqué à sauver les meubles. Garantir la survie de l’humanité – du moins, ce qu’il en restait. 
[...] Passer de neuf milliards d’humains au XXIe siècle à neuf cents millions après le Grand Effondrement de la civilisation fossile et, aujourd’hui, peiner à maintenir dix millions d’âmes. Tout cela en un claquement de doigts à l’échelle temporelle de la planète.
Histoire de mettre le lecteur au diapason, Sophie Loubière y va même d'une exergue bien sentie :
[...] À ma descendance. Puisse-t-elle connaître un monde formidable.

●   On aime beaucoup :

❤️ Sophie Loubière a choisi de ne pas déstabiliser son lecteur par une anticipation de techno parade. Bien au contraire, chacun des détails de la vie en 2224, pris isolément, est crédible voire réaliste. Mais c'est leur accumulation qui dérange et crée un certain malaise : l'auteure se moque pas mal de 2224 et préfère brosser une féroce critique de notre monde actuel, celui d'aujourd'hui en 2024.
❤️ Le monde de 2224 semble paradisiaque, ce qui reste de notre civilisation y est bon, beau et gentil, écolo-recyclable même, et l'on s'y souhaite "belle journée" à tout bout de champ !!! 
Mais on frémit bientôt à l'idée qui est au cœur de l'intrigue : ces femmes ménopausées, qui ne sont plus en mesure de procréer pour reconstituer l'humanité, et que l'on "retire" du circuit pour que les hommes puissent fonder une nouvelle famille.
Une alternative à la polygamie nous dira-t-on. 
Sauf que personne ne sait vraiment ce que deviennent les "retirées" quand elles partent pour le fameux "Domaine des Hautes Plaines", même si l'on se doute bien que l'auteure est suffisamment habile pour ne pas nous resservir un simple remake féministe de Soleil vert.
Bref on est très impatient d'apprendre ce qu'il advient des "retirées" ...
[...] — C’est normal de quitter sa famille quand on est vieille. Il n’y a pas de raison d’être triste.
— Tout à fait. Une Retirée sait qu’elle quitte sa famille pour aller vers une autre source de joie.
[...] — Tu sais ce qui se murmure entre femmes ? 
— À quel propos ? 
— Le Domaine des Hautes-Plaines. Le Grand Recyclage. Tout ça ne serait qu’un immense canular.
❤️ Pour corser encore le suspense, Sophie Loubière ne renie pas ses origines d'auteure de polars et nous a préparé quelques morts suspectes, impensables dans ce monde idyllique où la violence n'existe plus et donc où l'on ne sait plus pratiquer une autopsie !
❤️ On apprécie quelques petites inventions savoureuses (qu'on vous laisse découvrir) comme l'euthanasie raisonnée ou l'enterrement de vie de maman, ou encore ces bracelets régulateurs d'humeur.
Tout cela est évidemment très inconfortable, l'humour est grinçant, on ne sait trop quelle est la part du second degré, si c'est du lard ou du cochon, ou plutôt on se doute bien que l'auteure nous invite à jeter un œil inquiet du côté obscur de la force.
[...] Un bracelet modère nos humeurs, enregistre nos émotions et contrôle nos montées d’adrénaline, une manière de fermer nos yeux, de mettre des œillères.
❤️ On s'inquiète aussi de la manipulation exercée par une IA (la version 2224 d'Alexa ou Siri s'appelle Maya) qui va jusqu'à imiter Orwell et créer une "novlangue".
[...] Maya modela patiemment notre langue et notre imaginaire pour y enchâsser l’expression et le concept. D’abord en injectant le terme à petites doses dans ses messages informatifs. Il était essentiel de nous habituer à l’entendre. Il fallait le normaliser, nous acclimater à sa présence dans un langage quotidien. L’effet de répétition dégradait notre vigilance. Si un mot isolé pouvait choquer, provoquer une réaction, la ritournelle entonnée par l’IA amoindrissait notre capacité à réfléchir et rendait la chose jolie.
[...] Aussi loin que remontait l’histoire de l’Homme, de tous ses crimes, le plus grand demeurait sa faculté à en nier l’existence. Parfois, il allait même jusqu’à les effacer.
❤️ Bref, seul le lecteur vraiment naïf voudra bien croire que Sophie Loubière s'intéresse plus à 2224 qu'à 2024 ...
C'est un miroir éblouissant et à peine déformant que nous tend l'auteure.
😕 Bon, le grincheux de service regrettera peut-être quelques longueurs ou digressions explicatives.

●   L'intrigue :

2224. Notre civilisation dite "fossile" n'est plus. 
L'humanité est réduite à peau de chagrin et survit sur quelques territoires encore épargnés. 
On s'efforce de lutter contre l'effacement, les malformations, la stérilité, les fausses couches. Les femmes ménopausées, devenues "obsolètes" sont "retirées" du circuit pour que leur conjoint puisse fonder une nouvelle famille avec une femme plus jeune en mesure de procréer.
Mais il semble bien que quelques grains de sable se soient glissés dans cette belle mécanique idyllique du futur ...

Pour celles et ceux qui aiment se souhaiter "belle journée".
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Belfond

jeudi 4 avril 2024

Le réseau (John Grisham)


[...] C’était il y a quinze ans et tout a changé.

●   L'auteur, le livre (496 pages, 2024, 2023 en VO) :

John Grisham a beau être un auteur particulièrement prolixe, voilà bien longtemps qu'on n'avait pas tenu en mains un de ses bouquins. C'est chose faite avec Le réseau qui, cerise sur le pompon, se veut être une suite à La firme, l'archétype du thriller juridico-politico-financier.
Mais pour les extra-terrestres récemment débarqués qui n'auraient pas lu ce livre culte, ni vu le film avec Tom Cruise, Grisham prend gentiment soin de rappeler les enjeux de La firme dans un prologue plutôt élégant. Faut dire que cette histoire date quand même de plus de 30 ans !
Le réseau raconte une autre aventure de Mitch McDeere supposée se dérouler 15 ans plus tard, donc au début des années 2000.
[...] — C’était il y a quinze ans et tout a changé.
— Ça ne me plaît pas.
— Tout ira bien, Abby. Personne ne va me reconnaître. Et tous les affreux sont partis.
— J’espère. Je te rappelle que nous avons quitté la ville en pleine nuit, qu’on était terrifiés et que de sales types nous pourchassaient.
— C’est vrai. Mais ils ne sont plus là. Certains sont morts. Et la firme s’est écroulée. Ils sont tous en prison.

●   On aime :

❤️ Bien sûr Grisham ne fait pas dans le subtil : ses personnages sont stéréotypés, parfois à la limite de la caricature. On pourrait le déplorer sans doute, mais reconnaissons que ces stéréotypes font partie intégrante de notre culture occidentale. On a grandi avec, on en connait tous les codes, toutes les clés de lecture, et le job de l'auteur est de les mettre en scène avec professionnalisme et si possible, un peu de panache et d'élégance. Un métier où Grisham, ancien avocat, n'a plus rien à prouver ... pour notre plus grand plaisir coupable.
❤️ On redoute de découvrir les arcanes des négociations pour la libération des otages : l'impuissance de la boîte de mercenaires que le cabinet d'avocats a recrutée à grands frais mais qui brasse surtout du vent ou bien encore les nombreux obstacles à franchir pour convaincre les gouvernements italien et britannique de mettre la main au portefeuille, eux qui "officiellement" ne versent jamais de rançons aux terroristes. Tout cela décrit un tableau peu reluisant des coulisses du pouvoir (c'est un peu la spécialité de Grisham) et le lecteur se félicite à chaque page de ne pas être à la place des otages.
[...] Côté rançon, il n’y avait guère eu de progrès. L’Italie et la Grande-Bretagne faisaient la sourde oreille, espérant que la crise se résolve ou disparaisse par enchantement. Puisqu’ils étaient exclus des négociations et ignoraient totalement à qui ils avaient affaire, ils étaient réticents à mettre la main à la poche – ce qui pouvait se comprendre.

●   L'intrigue :

Quinze ans après La firme, Mitch McDeere est devenu un avocat très performant dans un très grand cabinet (ici tout est "très" évidemment), il est chargé de défendre les intérêts d'une très grande société turque de BTP qui a construit en Libye un très grand ouvrage pharaonique à la démesure de Khadafi, travaux que la Libye n'a plus très envie de payer. 
Une fois sur place, une jeune et très jolie collaboratrice de Mitch (c'est la fille d'un de ses collègues) est enlevée par des très affreux et ses gardes du corps décapités à la tronçonneuse. 
[...] Étaient-ce des terroristes ? des bandits ? des révolutionnaires ? Des guerriers d’une quelconque tribu ? Des intégristes religieux ? Cela pouvait être n’importe qui. Et comme l’État contrôlait la presse, aucune information ne fuitait dans les médias occidentaux.
Le compte à rebours est lancé, la vie des otages ne tient qu'à un fil, Abby et Mitch McDeere vont devoir se démener comme des beaux diables.
Pour info, le projet d'aqueduc pharaonique de Khadafi (La Grande Rivière Artificielle) n'est pas une invention de l'auteur.

Pour celles et ceux qui aiment les avocats.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions JC Lattes.
Mon billet dans 20 Minutes.

mardi 2 avril 2024

Les jeunes fauves (Davide Longo)


[...] Et qu'est-ce qui me resterait ?

●   L'auteur, le livre (288 pages, 2024, 2021 en VO) :

On a découvert il y a peu Davide Longo, la nouvelle coqueluche des médias italiens, avec le premier épisode d'une série intitulée Les crimes du Piémont : c'était l'Affaire Bramard, un roman que l'on avait beaucoup aimé.
Cette nouvelle enquête, Les jeunes fauves, vient confirmer que la réputation médiatique de la nouvelle star du polar italien est bien loin d'être usurpée : sa plume est vraiment de grand talent. 

●   On aime beaucoup :

❤️ En apparence, la recette parait simple : une attention toute particulière aux personnages et à leurs dialogues et une intrigue solidement ancrée dans le passé. Encore faut-il avoir le tour de main pour que prenne la sauce. 
Et Davide Longo consacre tout son savoir-faire à ses personnages. Même l'intrigue leur est consacrée puisque la découverte des ossements va nous conduire à une ancienne affaire jamais élucidée quand le jeune Corso Bramard faisait ses débuts dans la police. Et le dénouement va même nous éclairer quelques côtés obscurs de la jeune Isa, la geek de service qui ne veut pas qu'on la prenne pour une nouvelle Lisbeth.  
❤️ On est ravi de faire plus ample connaissance avec ce redoutable trio d'enquêteurs : chacun d'eux est vraiment un sacré personnage et leurs rencontres font des étincelles. Avec ce deuxième épisode, le lecteur croit même faire un peu partie de cette équipe. Vivement la suite !
❤️ On va en apprendre plus notamment, sur le commissaire Arcadipane que l'on avait à peine entrevu dans le précédent épisode. Cette fois, c'est lui que l'on va suivre au centre de l'intrigue où il traîne une douloureuse crise de la cinquantaine : seuls quelques bonbons à la réglisse et un chien boiteux arriveront à le sortir de son spleen. Voilà qui nous change des flics habituellement imbibés qui noient leurs états d'âme dans l'alcool.
[...] Il lui a fallu quarante ans pour apprendre à bien faire les deux choses pour lesquelles il avait un peu de talent : son métier de commissaire et son rôle de mari. Et à présent, il ne semble plus y arriver si bien que ça. 
Pour tout le reste : communiquer, s’ouvrir, compatir, bien manger, aimer d’autres femmes, comprendre l’art, se rappeler des films, se faire redresser les dents, trouver les mots justes, se mettre de la crème, apprécier le sauna, le dimanche, la nature et se laver les pieds tous les soirs avant d’aller se coucher, il est désormais trop tard.
Voilà, c’est ça, vieillir : ne plus avoir de temps pour devenir bon à quoi que ce soit.

●   L'intrigue :

Tout commence avec la découverte d'ossements (une douzaine de crânes) au fond d'un chantier. En Italie, on sait qu'il s'agit habituellement d'un charnier datant de la dernière guerre qui fut surtout civile.
[...] C’est des trucs comme celui-là : partisans, fascistes, règlements de comptes pendant ou après la guerre. Il y a sûrement un vieux dans le coin qui sait même qui ils sont et qui les a tués, mais s’il n’a pas parlé jusqu’ici…
[...] Arcadipane regarde les os longs des bras et des jambes disposés par les ouvriers avec le bassin, la colonne vertébrale et le crâne suivant la forme d’un corps. À côté, un tas de petits os qu’ils n’ont pas su placer.
— Ceux-là, c’est comme Andorre ou le Liechtenstein, commente Sarace. À moins de bosser dans la banque, tu ne sais pas où ça se trouve.
Mais quelques doutes tourmentent le commissaire Arcadipane qui n'est pas si certain que les ossements datent vraiment de la guerre. 
Encore une histoire qui ne demande qu'à remonter du passé tourmenté de ce pays.

Pour celles et ceux qui aiment jouer aux osselets.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce à 20 Minutes Books, NetGalley et aux éditions JC Lattes Le Masque
Mon billet dans 20 Minutes.

lundi 1 avril 2024

Krummavisur (Ian Manook)


[...] Il n’aura fait que chanter le Krummavísur.

●   L'auteur, le livre (416 pages, 2024) :   

Ian Manook : ce nom ne nous est pas inconnu puisque c'est celui qui, il y a dix ans, avait signé Yeruldelgger dans les steppes mongoles et qui relançait le genre dit du polar ethnique.
Ian Manook c'est l'un des nombreux pseudos de Patrick Manoukian, journaliste au look de Commandant Cousteau (il écrit notamment sous le nom de Roy Braverman pour des trucs plus américains).
Depuis quelques livres, Manook a délaissé l'Asie centrale pour partir chasser sur d'autres terres sauvages, en Islande, avec une série de polars qui mettent en scène un flic ingérable et controversé dénommé Kornelius Jakobsson
On attaque ici par le troisième épisode : Krummavísur, qui peut se lire sans les précédents (dont il serait quand même dommage de ne pas profiter !).
Cet épisode nous emmènera même faire un petit tour au Groenland sur des terres glacées que l'on connait un peu mieux depuis un autre auteur, bien frenchy lui aussi malgré son pseudo : Mo Malø, qui nous avait déjà fait découvrir l'accident de Thulé et l'incroyable Camp Century des américains, que l'on retrouve ici.

●   On aime :

❤️ Manook est allé chercher tous les clichés connus sur l'Islande (et même le Groenland voisin) pour nous les resservir dans une histoire pleine de bruit et de fureur, de glaces et de tempêtes. Pas sûr que les îliens natifs apprécient vraiment le dépliant touristique mais pour notre part, nous ne bouderons certainement pas notre plaisir coupable. D'autant que tout cela est assaisonné d'un humour caustique bien savoureux, très "second degré". 
❤️ On rigole même franchement avec deux ou trois personnages, comme l'agent Komsi qui caricature un de nos travers de langage bien français (pffff, c'est pas comme si on parlait toujours comme ça) ou encore cet inspecteur Ari, impayable avec ses proverbes idiots tirés des carnets de son grand-père.
[...] — Il s’appelle vraiment inspecteur Harry, comme Clint Eastwood dans…
— Non, Alma, il s’appelle Ari Eiriksson, et il est donc pour moi l’inspecteur Ari.
[...] — Qui aime les œufs ne mange pas de poule.
Kornelius le regarde en écarquillant les yeux.
— Quoi, se justifie Eiriksson, ça veut dire qu’il ne faut pas détruire ce qui nous nourrit, qu’il faut prendre soin de la terre, qu’il…
— J’avais compris, coupe Kornelius. Combien de proverbes a inventés ton fichu grand-père ?
— Sept cent trente-quatre, dans douze carnets reliés.
[...] — Pas la peine de couper les ailes à un mouton, lâche Ari, je vais me trouver une location à Höfn.
— Pas la peine de quoi?
— Pas la peine de chercher à comprendre ses dictons, intervient Kornelius. Son grand-père en a inventé sept cents, tous plus incompréhensibles les uns que les autres.
— Sept cent trente-quatre, dans douze carnets qui…
— On s’en moque, lâche Kornelius.
❤️ On apprécie également que l'auteur brosse un tableau rapide mais assez complet de ces régions (Islande et Groenland) et ne se prive pas de convoquer un peu de géopolitique, même si c'est pour railler copieusement les pays colonisateurs : les US et le Danemark. 
[...] Cette période difficile où se dessine l’indépendance d’un Groenland que la Chine et la Russie convoitent déjà sans vergogne. 
[...] — Tous ces Américains… 
— Les Américains ne peuvent pas être responsables de tout, Kuppik. 
— Peut-être, mais ce sont eux qui donnent l’exemple et qui mènent le monde.

●   L'intrigue :

Tout commence comme dans tout bonne histoire islandaise d'espionnage, par la réapparition de l'épave d'un avion US perdu dans les glaces, façon Opération Napoléon comme l'avait déjà imaginé Indridason.
Dans le même temps, bien loin du glacier Vatnajökull, une autre intrigue se noue à Reykjavik : l'Islande est un village où les secrets ne le restent pas bien longtemps, surtout si l'on est un homme politique bien en vue mais intéressé par les très jeunes filles. 
Manigances politiciennes, avocats véreux, voyous lituaniens, ingérence de la diplomatie US et de ses services secrets, corruption politique, manipulation et dissimulation de preuves, le lecteur a droit à la totale, impatient de voir les deux affaires se rejoindre. Parce que forcément hein ...
Avec un beau dénouement qui emportera tout cela dans le bruit et la fureur de l'île.
[...] Son geste satisfera tout le monde. On pourra penser que c’est un nouveau fardeau lourd à porter pour Kornelius, mais lui s’en moquera et ne se confiera à personne.
Après tout, il n’aura fait que chanter le Krummavísur.
Le Krummavísur est une chanson traditionnelle islandaise qui a été reprise, notamment, par Björk (pour celles et ceux qui aiment les vocalises de Alda Björk Ólafsdóttir moins célèbre que son homonyme !).

Pour celles et ceux qui aiment les glaçons, façon polar on the rocks.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce à 20 Minutes et aux éditions Flammarion.
Mon billet dans 20 Minutes.

dimanche 31 mars 2024

Avant la nuit (Maria Malagardis)


[...] Malgré les alertes, l’inertie restait de mise.

●   L'auteure, le livre (288 pages, 2024) :

Maria Malagardis est une journaliste qui a couvert l'Afrique pour plusieurs médias et notamment le conflit du Rwanda. Elle a écrit plusieurs ouvrages sur le sujet.
Voici l'un d'eux, un roman : Avant la nuit.

●   Le contexte :

Evidemment, pas question de faire l'impasse sur le rappel du contexte de cette histoire.
Le Rwanda est le théâtre de conflits dits "ethniques" entre Tutsis et Hutus depuis des années, conflits attisés par les colons belges puis par le gouvernement français : pogroms meurtriers et exils forcés se succèdent depuis les années 50.
Le 6 avril 1994, l'avion du président rwandais est abattu en vol (un attentat jamais élucidé).
Dans le même temps, les troupes du FPR (Front patriotique Tutsi) marchent sur Kigali depuis l'Ouganda avec le soutien discret des britanniques tandis que la fameuse Radio des mille collines appelle au massacre des Tutsis. Dans leur grande sagesse, l'ONU, les belges et les français se désengagent.

●   On aime un peu :

❤️ Le plus intéressant reste sans nul doute l'image de ces casques bleus perdus au cœur d'un conflit qui les dépasse. Leur hiérarchie s'est désengagée depuis longtemps et le commandement ne sait que faire des quelques contingents qui ont été envoyés là-bas, n'attendant qu'un prétexte pour les rapatrier.
Pendant ces pages tristement instructives, le lecteur partage le quotidien de ces expatriés, entre inertie bureaucratique et impuissance politique, complètement démunis face au rouleau compresseur de l'Histoire post-coloniale.
😕 Mais le grincheux trouvera sans doute le récit un peu brouillon, avec une intrigue peu consistante qui ne sait pas trop sur quels personnages se fixer.
Un peu comme si la journaliste avait trop longtemps hésité entre reportage factuel et romance littéraire.
Mais on pourra aussi se dire que c'est pour mieux retranscrire l'ambiance confuse qui régnait au Rwanda à la veille du massacre. 
[...] Sur le papier, le pays où il avait atterri venait de mettre un terme à trois ans de guerre. Les Casques bleus devaient assurer l’application des accords de paix et accompagner une nouvelle ère consacrant le partage du pouvoir. Avec l’opposition et les forces rebelles, qui campaient au nord du pays.
[...] Malgré les alertes, l’inertie restait de mise. Après tout, des accords de paix, arrachés au régime en place, n’avaient-ils pas récemment été signés ?
[...] C’était un monstrueux bain de sang qui se préparait, en marge des négociations pour les accords de paix. Il ne visait pas uniquement les rebelles, mais aussi leurs supposés « complices », et tous ceux qui appartenaient à l’ethnie minoritaire.
[...] Les Français se cachaient derrière cet homme. Ils jouaient un rôle trouble dans cette période tendue. Le commandant de la force de l’ONU avait lui-même dénoncé ouvertement leur collusion avec l’armée locale.

●   L'intrigue :

Maria Malagardis a choisi de nous immerger au Rwanda quelques jours avant que le massacre soit déclenché. 
Voici donc la chronique d'un génocide annoncé.
Elle nous invite à suivre les errements de quelques personnages perdus à l'approche de la tempête : des journalistes et leurs "fixeurs", quelques africains de telle et telle ethnie, et (le plus intéressant) quelques casques bleus.
Tout commence avec la découverte de corps d'enfants massacrés ...
[...] Les enfants se trouvaient là, devant eux. Le regard fixe tourné vers le ciel tourmenté. Six petits corps éparpillés sur l’herbe, comme des jouets brisés. [...] Voilà deux jours qu’ils les recherchaient, cinq fillettes et un garçon.
[...] Les enfants n’appartiennent pas à l’ethnie des rebelles. Et ça, tu l’as deviné, j’imagine . Qu’est-ce que tu crois ? La guerre a cessé, mais peut-être qu’elle continue en réalité.

Pour celles et ceux qui aiment les dessous de l'Histoire.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions Talents

jeudi 28 mars 2024

Sable noir (Cristina Cassar Scalia)


[...] Le cadavre était celui de la prostituée la plus célèbre de Catane.

●   L'auteure, le livre (400 pages, 2024, 2018 en VO) :

Après avoir été ... ophtalmologiste (!) l'italienne Cristina Cassar Scalia est l'auteure d'une série policière avec la commissaire Giovanna Guarrasi dite Vanina pour les intimes, de la brigade criminelle de Catane en Sicile. Une série télé en a été adaptée.
Sable noir est le premier épisode de ce qui s'annonce comme une très bonne série.

●   On aime beaucoup :

❤️ On aime bien ces intrigues de série télé où le lecteur tente de se faire tout petit dans les couloirs du commissariat, dans les coulisses de l'enquête, essayant de s'intégrer discrètement à l'équipe de la commissaire Vanina Guarrasi. On tient là plusieurs personnages bien dessinés qui nous promettent une belle série policière.
❤️ De sa prose tranquille, ironique et efficace, Cristina Cassar Scalia dissèque tout son petit monde catanais avec d'autant plus d'acuité que l'intrigue remonte aux années 50 ou 60, à une époque où les maisons closes n'avaient pas encore été fermées et où la mafia était encore toute puissante.
❤️ Voilà un policier au dosage fort bien équilibré qui devrait plaire au plus grand nombre : des personnages savoureux et attachants du petit monde sicilien, un récit soigné et dynamique, teinté d'humour et d'autodérision, une intrigue solide qui fouille de manière passionnante dans le passé de l'île, quelques révélations au moment du dénouement, ... 

●   L'intrigue :

Alors que l'Etna (la Muntagna) est une fois de plus en éruption, faisant pleuvoir son sable noir sur Catane et les alentours, voici que l'on découvre par hasard, dans une vieille demeure presque inhabitée, le cadavre d'une femme quasi momifiée dans un placard discret, sans doute enfermée là depuis les années 50 ou 60. 
La commissaire Vanina Guarrasi et son équipe mènent l'enquête.
[...] Quelque chose rendait la découverte de ce cadavre plus intéressante que tous les meurtres dont elle s’était occupée ces derniers temps. C’était peut-être le cadre « sinistre », comme avait dit Adriano, digne d’un film d’horreur.
[...] Le brouillard autour de cette affaire s’épaississait mot après mot, comme la tempête de sable volcanique qui s’abattait sur la ville et ne semblait pas près de finir.
[...] Son instinct lui dirait si le cadavre était celui de la prostituée la plus célèbre de Catane dans l’après-guerre.
[...] Quelque chose ne cadrait pas dans cette histoire, ça faisait plus de cinquante ans qu’il le sentait.
La découverte du cadavre de cette femme va conduire à interroger quelques vieillards, témoins rescapés de cette belle époque et à reconsidérer un autre meurtre qui avait déjà eu lieu dans ces lieux et dont le dossier avait été clos un peu trop rapidement : c'est devenu "l’affaire du double meurtre à la villa Burrano".

Pour celles et ceux qui aiment la Sicile et les pâtisseries.
D’autres avis sur Babelio et Bibliosurf.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions de L'Archipel.

mardi 26 mars 2024

L'horloger (Jérémie Claes)


[...] Cette nuit de réveillon ne lui dit rien qui vaille.

●   L'auteur, le livre (464 pages, 2024) :

Le belge Jérémie Claes était jusqu'ici inconnu de nos services. Il a été appréhendé en février avec son premier thriller : L'horloger qui promet de faire voyager le lecteur de Bruxelles (en Belgique) à Neuquén (en Patagonie) en passant par Auschwitz (en 1942).
Avant de commettre ce premier crime, le susnommé Claes était un honnête caviste, amateur de cuisine conviviale et du soleil de Provence : c'est là, à Gourdon dans le village de sa grand-mère, qu'il situe son premier crime bouquin.
[...] La cuisine est rustique et vivante. Avec un évier de faïence ébréché, des placards de bois multicolores, d’innombrables pots d’épices et d’herbes, toute une batterie de cuivre suspendue à des crochets de laiton aux côtés d’un jambon ibérique appétissant et de saucissons faits maison, un antique frigidaire crème et surtout, un fourneau massif, six feux et deux fours, le genre d’outil qu’on devait trouver chez Bocuse ou la mère Brazier. On aime manger, on aime boire, tout le proclame.
Solane sirote son rouge avec componction, en bon épicurien.

●   On aime un peu :

❤️ On s'amuse de voir mis en scène les puissants du moment, les Castaner, Macron et autres Trump. L'Amérique est même citée comme le pays des présidents barjots et Trump (celui de la saison 1, on est en 2018) est surnommé l'agent orange ! On sait bien que les locataires du pouvoir ne font que passer et que ce bouquin risque ainsi de se démoder bientôt, mais aujourd'hui c'est insolent et même si c'est un peu facile, ça fait du bien de sourire un peu de ce monde trop sérieux. 
❤️ On aime bien le personnage de Bernard Solane, super-flic rangé des voitures de patrouille, un bon vivant épicurien sans doute un double de l'auteur, véritable héros du bouquin et prétexte à une prose pleine de gouaille ironique et insolente.
❤️ On goûte les aimables descriptions de la douceur de vivre à la provençale selon Jérémie Claes qui y est visiblement chez lui, même si le "refuge" semble menacé de toutes parts par les miliciens suprémacistes assoiffés de vengeance plutôt que de bon vin.
😕 Le grincheux se dit même que notre ami belge aurait dû nous concocter une histoire plus simple dans ce cadre provençal où il se sent si bien, un polar plus classique qui ne serait pas emberlificoté dans un thriller complotiste aux relents de conspiration planétaire trop peu crédible pour être captivant.
[...] On mange royalement autour de la grande table, et des fourneaux se dégagent souvent des odeurs affolantes. Cyril finit invariablement par s’asseoir au piano, il joue une heure, les autres écoutent les yeux mi-clos en souriant et font balancer leur tête sur le swing irrésistible du be-bop. Pierre enfin va se coucher et les trois adultes discutent et rigolent ensuite sur la terrasse jusque tard dans la nuit, en finissant le rouge ou en sirotant un whisky ou un vin d’orange. La vie est douce et s’égrène tranquillement.
L’orage, cependant, ne se calme pas.

●   L'intrigue :

L'universitaire américain Jacob Dreyfus a obtenu le Pulitzer pour une opération d'infiltration "sous couverture" au cœur des milices suprémacistes étasuniennes. Un reportage qui fit tomber quelques têtes dont celle d'un puissant sénateur.
[...] Qu’as-tu fait, Jacob ? Qu’as-tu déclenché ? Pourquoi a-t-il fallu que tu t’attaques à ces fous ? Regarde ce que ton obstination a créé, quel monstre elle a engendré ?
[...] Que croyait-il ? Qu’il allait pouvoir mener sa croisade sans répercussions pour ses proches ?
Menacé de toutes parts, pris en charge par le programme WITSEC, Jacob a depuis été mis au vert ... chez nous en Provence où, sous une nouvelle identité (Jacob est devenu Cyril) il coule des jours presque paisibles avec son jeune fils, entouré de quelques nouveaux amis comme son garde du corps, Solane.
[...] Tu échoues dans le 06 à protéger un Amerloque en exil.
[...] Son boulot, c’était de veiller.
Et pour veiller, dans l’histoire récente, y a pas mieux que Solane. Avant Cyril, il a été l’ange gardien de deux présidents, de cinq ministres, d’une flopée de cols blancs paranos et même d’une star de cinoche espagnole. Inutile de préciser que sa réaffectation sur la Côte d’Azur, il l’a vue comme une occasion de se dorer la pilule au soleil.
[...] Solane porte son SIG-Sauer SP 2022 dans son holster, sous sa veste, c’est son tranquillisant à lui, il ne se soigne pas par les plantes.
Mais cette année-là, le 31 décembre à minuit tapant, au douzième coup de l'horloge, tous les proches de Jacob/Cyril sont mystérieusement assassinés, ceux restés aux US mais aussi son petit garçon en Provence.
[...] Il y a un je-ne-sais-quoi dans l’air de cette nuit de réveillon qui ne lui dit rien qui vaille.
Dix années se sont peut-être écoulées depuis que Jacob/Cyril a mis son nez où il ne fallait pas mais visiblement ses ennemis rancuniers n'ont toujours pas assouvi leur soif de vengeance. L'affaire Dreyfus va réellement commencer, tic tac tic tac ...
Nous voilà partis pour des aventures littéralement incroyables et des péripéties rocambolesques dignes d'une BD avec super-méchants et super-héros.
[...] – Ça sonne comme une sacrée conspiration, j’ai l’impression d’être un fêlé de complotiste. Mais y a un truc qui me chiffonne.

Pour celles et ceux qui aiment les complots.
D’autres avis sur BabelioBibliosurf et 20 Minutes.
Livre lu grâce à 20 Minutes Books et aux éditions H. d'Ormesson.

samedi 23 mars 2024

Au nord de la frontière (Roger Jon Ellory)


[...] Vous m’avez vraiment concocté une histoire triste, pas vrai ?

●   L'auteur, le livre (496 pages, 2024, 2023 en VO) :

Ah! Retrouver Roger Jon Ellory s'annonce toujours comme un grand plaisir de lecture et Au nord de la frontière tient ses promesses. 
Cette frontière, c'est celle qui sépare le nord de la Géorgie des Appalaches, région de montagnards taiseux et sauvages (c'est la région de Délivrance) qui fait depuis longtemps le bonheur de nombreux romanciers US … et de leurs lecteurs.
Il n'est donc pas inutile de rappeler que R. J. Ellory n'est pas plus américain que vous et moi : c'est un pur  British de Birmingham ! 

●   On aime beaucoup :

❤️ On aime un romancier qui prend tout son temps pour installer son décor, son intrigue et ses personnages.
R. J. Ellory laisse mijoter tout cela à feu doux, la double enquête piétine et le lecteur a tout le loisir de faire ample connaissance avec les uns et avec les autres.
Aux deux tiers du bouquin, le lecteur fait déjà presque partie de la famille lorsque l'intrigue va se nouer, noire et serrée : la balade touristique dans les Appalaches se transforme alors en une redoutable nuit blanche pour terminer ce page-turner.
❤️ Avec R. J. Ellory on sait qu'il faut s'attendre à une histoire d'une grande tristesse et d'une profonde noirceur. Fort heureusement quelques figures féminines lumineuses tentent d'éclairer un peu le sombre ciel de Géorgie : la patience bienveillante d'Eleanor, la femme du frère, ou les réparties redoutables de Barbara, l'assistante du bureau du shérif. 
❤️ Et puis surtout l'obstination têtue de la petite Jenna, la nièce, archétype des personnages de R. J. Ellory dont la résilience leur permet d'échapper aux traumatismes que la vie leur a destinés. 
On la voit peu dans le livre mais ce pourrait bien être elle la véritable héroïne ici : les histoires d'Ellory sont à l'opposé des tragédies antiques peuplées de héros victimes de la fatalité.
❤️ Mais on n'est pas au bout de nos surprises : R. J. Ellory emmènera ses personnages et son lecteur très loin, au-delà de la frontière. Une frontière qui ne sépare pas uniquement la Géorgie du Tennessee mais qui est aussi la frontière entre le bien et le mal, la frontière entre certaines lois et une certaine idée de la justice.
[...] – Bon sang, Victor, vous m’avez vraiment concocté une histoire triste, pas vrai ?
– Je suppose.
[...] Les répercussions vont être considérables. Ne vous attendez pas à mener une vie paisible dans un avenir proche. La presse va se ruer sur cette affaire . Il va falloir limiter les dégâts… Bon sang, je ne sais même pas à quoi comparer ça.

●   L'intrigue :

Il y a Victor Landis, le shérif d'une petite ville du nord de la Géorgie où il cultive sa solitude comme d'autres les orchidées. Un taiseux sombre et solitaire qui s'est soigneusement coupé du monde.
[...] Les événements récents avaient souligné à quel point il était isolé. Pas de parents, pas de femme, pas d’enfants, et désormais pas de frère.
[...] La solitude était une façade qu’il arborait – feignant l’indépendance ou une autosuffisance résolue –tout en se persuadant que c’était le monde qui était responsable. Mais c’était un ramassis de conneries. Il avait fabriqué ça tout seul.
Il y a le frère, Franck Landis, avec qui Victor est définitivement brouillé depuis des années.
Franck est shérif lui aussi et vit au nord, de l'autre côté, au Tennessee.
Enfin, il vivait car il vient de se faire écraser. 
Et comme on lui a roulé dessus à plusieurs reprises, on peut dire que ça ne ressemble pas à un accident.
[...] Frank ne lui avait pas manqué pendant toutes ces années, et maintenant qu’il était mort il n’y avait aucune raison qu’il en aille autrement. Deux heures de route les avaient séparés, mais il aurait tout aussi bien pu se trouver à l’autre bout du monde.
[...] Frank et Victor Landis descendaient d’une lignée de personnes dures et laconiques. Leurs ancêtres se méfiaient des mots qui excédaient trois syllabes.
[...] Sale affaire. C’était un type bien, un bon shérif. 
– Une idée de qui il aurait pu se mettre à dos ? demanda Landis. Il est clair que quelqu’un le voulait mort une bonne fois pour toutes.
Avec qui fricotait Franck pour qu'on veuille l'écrabouiller avec une telle application ?
Mais Victor n'est guère motivé pour enquêter sur la mort de son frère haï : il est surchargé de boulot avec des cadavres de jeunes filles qui refont surface dans la région. 
[...] – J’aurais cru que vous aviez assez à faire sans ces trois ados mortes sur les bras.
– Peut-être que je ne veux pas découvrir la vérité sur Frank. Mon instinct me dit que ça ne va pas être joli, et je ne veux pas avoir raison.
– L’intuition, c’est pas des faits, Victor.
– Je le sais, George.
– Il me semble que le fardeau de ne pas savoir serait plus lourd.
– Oui, acquiesça Landis. Je suppose. »
[...] Des rumeurs, des déductions, une personne qui disait une chose, une autre qui en disait une autre , tout cela donnait une montagne de rien, et pourtant il en sentait le poids sur ses épaules. Quelqu’un connaissait la vérité sur son frère. Quelqu’un savait ce qui était arrivé à ces trois filles. Des gens avaient la réponse à toutes ces questions, et il devait les trouver.
Quel lien peut-il bien y avoir entre ces deux histoires où l'on croise trop souvent ces deux affreux jojos, les frères Russell ?
[...] – Vous voulez un conseil ? Quitte à en tuer un, autant les tuer tous les deux. Et tuez-les deux fois, juste histoire d’être sûr. »

Pour celles et ceux qui aiment les shérifs.
D’autres avis sur Babelio et Bibliosurf.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions Sonatine.
Mon billet dans 20 Minutes.
À noter que Fabrice Pointeau, le traducteur attitré de R.J. Ellory, vient tout juste de décéder un peu trop tôt ...

vendredi 15 mars 2024

L'année de la sauterelle (Terry Hayes)


[...] Leur heure est peut-être venue.

●   L'auteur, le livre (400 pages, 2024, 2023 en VO) :

Terry Hayes est un scénariste qui a travaillé sur la série des Mad Max et qui partage sa vie entre Grande Bretagne et Australie.

On a découvert il y a peu son premier thriller : Je suis Pilgrim.
Voici un nouvel épisode, son troisième roman et le second traduit en français : L'année de la sauterelle.
Car chacun sait que les sauterelles ou les criquets (The year of the locust en VO) se développent et croissent sans bruit durant plusieurs années avant que leurs nuées s'envolent et s'abattent sur le pauvre monde. Ainsi, Terry Hayes nous invite à assister à l'essor d'une nuée de djihadistes qui se préparaient dans les montagnes reculées d'Afghanistan : l'année de la sauterelle est annoncée pour très bientôt. L'occident peut trembler.
[...] «  Une sauterelle, dis-je. —  Pendant des années, il n’y a rien, expliqua Falcon, puis c’est l’invasion, on ne peut plus les arrêter, elles détruisent tout sur leur passage. Peut-être est-ce le moment. Leur heure est peut-être venue.  »
[...] Dans le monde du renseignement, il existe un nom réservé à ces actes terroristes de grande ampleur, et la station de Kaboul était convaincue qu’un autre Feu d’artifice était en préparation.
[...] La CIA avait découvert que l’un des plus grands terroristes au monde était ressuscité d’entre les morts et qu’elle l’avait plus ou moins localisé.

●   On aime bien la première moitié :

❤️ On aime bien l'écriture très pro, fluide et bien rythmée, de cet auteur qui arrive un peu sur le tard dans le monde très convenu du thriller d'espionnage mais qui réussit à tirer habilement sa plume du jeu. 
Ses bouquins ne révolutionnent pas le genre mais on est bon public et on veut bien encore et toujours, embarquer aux côtés du super héros très fort et très malin qui va sauver les États-Unis (et le reste du monde avec, ouf) des griffes des méchants terroristes islamistes. 
Tout cela avec une bonne dose de clichés éculés, un peu de technologie branchée, un peu d'humour désabusé, un savant mélange de testostérone et d'adrénaline, en somme rien de bien nouveau sous le soleil de Kaboul mais encore faut-il savoir doser ces ingrédients avec soin et un peu de brio si possible. Tout comme son super-héros, Terry Hayes fait le job et il le fait bien.
❤️ On savoure le plaisir de se laisser promener au fil des longues digressions de cet auteur, c'est un peu sa marque de fabrique. Un personnage nous raconte telle anecdote périlleuse, un autre se souvient de telle mission au Moyen-Orient ou de telle aventure au Vietnam, puis on va nous détailler longuement et inutilement telle escale d'avion à Ryad ou tel campement dans les montagnes, ... laissant l'intrigue principale se dérouler peu à peu en arrière-plan, lentement au fil des pages.
C'est ce qui fait d'ailleurs tout le charme de ces gros pavés quand le lecteur se laisse ainsi balader car nullement pressé d'arriver au terme d'un long voyage de 400 pages.
😕 Le grincheux s'étonnera sans doute à mi-parcours du culot de Terry Hayes qui se lâche un peu et qui sort de son chapeau une péripétie vraiment too much et d'un genre plutôt surprenant ici. On ne peut rien en dire sans divulgâcher évidemment mais ce tour prendra assurément le lecteur à contre-pied : attention, une sauterelle peut en cacher une autre !
Mais restons bon public et faisons confiance à cet auteur inventif et scénariste exubérant, pour trouver le moyen de retomber sur ses pattes.

●   L'intrigue :

Un agent doit pénétrer en Afghanistan pour exfiltrer un informateur susceptible de renseigner la CIA sur un dangereux terroriste que tout le monde croyait mort mais qui serait en train de préparer rien moins qu'un terrible attentat, un feu d'artifice façon 11 septembre.
[...] —  Imagine une fuite –  un terroriste revenu d’entre les morts, un Feu d’artifice programmé pour Thanksgiving, la majeure partie du monde occidental comme cible potentielle et pas la moindre idée sur la façon dont cela pourrait se produire… La panique à elle seule risquerait de nous anéantir en vingt-quatre heures.  »
[...] Tout commença par une mauvaise nuit, la pire de toute la mission, et cela empira rapidement.
[...] —  Je ne suis pas surpris, commentai-je à voix basse. Pour lui, comme pour l’Agence, c’était un échec. La mission SAUTERELLE était terminée, et le Feu d’artifice restait d’actualité.  »
Bien entendu, l'exfiltration va partir en vrille de manière ni très propre, ni très cool, bref c'est la cata, surtout pour l'informateur et même pour notre héros.
Mais nous ne sommes qu'au tout début du bouquin et le lecteur peut donc se pelotonner plus confortablement dans son fauteuil pour anticiper le plaisir d'encore quelques heures de cinoche sur grand écran en imax et technicolor.

Pour celles et ceux qui aiment les héros invincibles.
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Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions JC. Lattes.

mardi 5 mars 2024

Le ciel t'attend (Grégor Péan)


[...] Il veut envoyer une boule dans l’espace.

●   L'auteur, le livre (208 pages, 2024) :

Qui est donc ce Grégor Péan qui tantôt se faisait appeler Jean Grégor ?
Ah, le fils du grand journaliste et écrivain Pierre Péan ! ouais, pas facile de se faire un "nom".
Enfin, c'est donc chose faite avec ce bouquin, Le ciel t'attend, que l'on retrouve un peu partout en ce moment (même si Grégor avait déjà une douzaine de titres à son actif).
Faut dire que ce Grégor n'y va pas avec le dos de la main morte : il va nous conter rien de moins que l'histoire, que dis-je l'Histoire, de Gagarine, le premier homme à quitter le plancher des vaches, le "premier individu de l’histoire de l’humanité à voler en orbite jusqu’à une altitude de trois cent quatre-vingts kilomètres." !
Une histoire que je ne pouvais assurément pas laisser passer, moi qui suis arrivé sur cette terre peu de temps avant que Youri ne la quitte pour me regarder de haut (Grégor, lui, n'arrivera qu'un peu plus tard !).

●   On aime bien :

❤️ On affectionne tout particulièrement ce genre de récit qui nous emporte avec enthousiasme dans le vent tumultueux de l'Histoire, porté par des destins hors du commun. Comme les récits à la Echenoz par exemple.
Ah, on se doute un peu que la dure réalité fut un peu plus sombre et chaotique, un peu moins romanesque mais qu'importe après tout parce qu'on est venu là pour s'instruire, un peu, et se divertir, beaucoup.
❤️ Et il faut reconnaitre qu'on est conquis par le rythme d'enfer auquel Grégor mène son Histoire, le rythme des tambours de la guerre froide, celui de la course effrénée à l'espace et l'on croit voir défiler les actualités de l'époque sur le grand écran du cinéma.
Dans ce petit bouquin qui se lit très vite, au risque de nous frustrer sur certains aspects de l'aventure (la technologie, l'entrainement des cosmonautes, les échecs et difficultés, l'intimité de Gagarine, ...), Grégor se laisse emporter par son art consommé du portrait rapide, cet art de la caricature croqué en quelques coups de crayon sur la place du Tertre à Montmartre.
D'un trait il nous dessine la trajectoire du camarade Youri.
[...] Nikita Khrouchtchev affiche un sourire non feint. Il semble soulagé, et en effet ça n’a pas toujours été rose pour lui. Il fait moins peur que Staline, c’est là sa grande qualité.
[...] Lavrenti Beria, figure éminemment sombre. Il fut le chef de la police secrète sous Staline. Un Géorgien sadique, petit, chauve, malingre avec des lunettes métalliques, une sorte de Himmler du bloc soviétique.
[...] Korolev, au physique de prof de gym, le genre à engueuler ses gars pendant la mi-temps et à leur taper dans le dos à l’issue du match.

●   L'intrigue :

C'est un personnage de fiction qui va nous guider dans cette aventure : une certaine Marina Socovna, éminence grise du Kremlin, chargée d'insuffler de la "communication positive" (! une méthode de marketing apprise aux US qu'elle a visités comme espionne !) dans un monde soviétique terrorisé par les années Staline. Cela va nous donner quelques épisodes bien savoureux.
[...] — Salut, camarade Norodov, dites-moi, vous souvenez-vous de Korolev ? 
— Oui, bien sûr. 
— Eh bien, j’aimerais que vous jetiez un œil au courrier qu’il vient de m’adresser. Il veut envoyer une boule dans l’espace. 
— Une boule ? 
— Oui, une boule, qu’il appelle “satellite” parce que ça tournerait autour de la Terre. J’aimerais avoir votre avis. 
[...] Nikita autorisa l’envoi de la boule dans les airs. Très honnêtement, Nikita n’y croyait pas une seconde. Il pensa même que c’était du grand n’importe quoi. Pourtant, l’envoi du premier satellite par l’homme fut un des événements majeurs du XXe siècle. Nikita Khrouchtchev avait appuyé sur le bouton presque par inadvertance, et il en découlerait un feu d’artifice de fierté nationale qui durerait des années. Spoutnik fut le déclenchement de tout.
Le décor est posé, il ne nous reste qu'à suivre l'aventure épique de l'homme qui, coincé dans sa "boule", une petite boîte de conserve en ferraille, emmena avec lui toute l'humanité dans l'espace.
La redescente fut moins homérique. Youri commença ses tournées mondiales, ambassadeur et VRP du socialisme que le monde entier voulait toucher ou embrasser. À son grand désespoir, il ne pouvait plus voler : il était devenu beaucoup trop précieux pour qu'on prenne le risque de l'abimer et la fin de cette trop belle histoire aura un goût un peu amer.

Pour celles et ceux qui aiment s'envoyer en l'air.
D’autres avis sur Babelio.
Mon billet dans 20 Minutes.

lundi 4 mars 2024

Les voisins d'à côté (Linwood Barclay)


[...] Les choses finissent toujours par vous rattraper.

●   L'auteur, le livre (444 pages, 2010, 2008 en VO) :

Après avoir été bluffé par le style et la construction de Disparue à cette adresse, on s'était promis de revenir chez le canadien Linwood Barclay.
Le revoici donc avec un roman beaucoup plus ancien : Les voisins d'à côté.

●   On aime :

❤️ Dès les premières pages, on goûte le plaisir d'être installé dans son meilleur fauteuil pour passer un très bon moment, même si on comprend vite qu'avec un tel page-turner qu'on ne saura pas reposer avant la toute fin, la nuit s'annonce bien longue !
❤️ Même si le bouquin date de plus de quinze ans et n'a pas toute la force de Disparue à cette adresse, on sent bien que Linwood Barclay est déjà un "pro" quand il s'agit d'écrire ce type de romans à énigme.

●   L'intrigue :

Ça commence très fort quand dans la petite ville de Promise Falls, typique de la côte Est des US, les voisins sans histoire de Ellen et Jim Cutter sont assassinés.
[...] La nuit où nos voisins, les Langley, ont été assassinés, nous n’avons rien entendu.
[...] En vérité, je n’avais jamais rien vu de pareil. Pas une famille entière. Pas comme ça. Pas à Promise Falls. 
— C’est l’Amérique, soupira Ellen en glissant le pain dans la poêle fumante. Cela peut arriver n’importe où.
Ce soir-là, le fils ado d'Ellen et Jim rodait bêtement autour de la maison des voisins et se retrouve inculpé.
Mais dès le début on devine, on sait, que Linwood Barclay nous cache une bonne partie de l'histoire, ne nous dit pas tout sur le passé des uns et des autres et garde tout un jeu de cartes dans sa manche.
Il se paie même le luxe d'une petite intrigue littéraire (cela doit faire partie des cours d'écriture aux US !) avec l'usurpation d'un manuscrit, un plagiat qui aurait permis au pilleur de vendre un best-seller.
[...] Je n’arrive pas à croire que ce bouquin soit devenu un best-seller.
[...] Sincèrement, les écrivains sont souvent sympa, mais tellement collants. Toujours en quête d’approbation.
[...] — Vous le méprisez réellement, n’est-ce pas ? reprit-elle. Vous pensez que c’est un imposteur ? 
Je réfléchis tout en me garant le long du trottoir. 
— Je pense qu’il est plus qu’un imposteur, répondis-je. Je pense que c’est un assassin.
[...] Les choses finissent toujours par vous rattraper.
Mais il faudra attendre la toute fin, au cœur de la nuit blanche, pour que les derniers masques tombent enfin.

Pour celles et ceux qui aiment les tours de passe-passe.
D’autres avis sur Babelio.

dimanche 3 mars 2024

Retour de flamme (Liam McIlvanney)


[...] Quelqu’un voulait que cet homme souffre.

●  L'auteur, le livre (592 pages, 2024, 2022 en VO) :

On ne connaissait pas encore Liam McIlvanney, un écossais qui vit en NZ.
Mais on connaissait déjà son traducteur : David Fauquemberg, l'auteur de Bluff, roman lu en 2019 (qui se passait non loin de la NZ justement), auquel on avait décerné un de ces coups de cœur dont nous sommes un peu avare.
Bref, nous voici partis pour ce Retour de flamme, qui passe à un cheveu du coup de cœur.
On vous conseille quand même de commencer par l'enquête précédente, Le Quaker (malheureusement pas lu ici), auquel il est fréquemment fait référence dans ce second épisode.

●  On aime beaucoup :

❤️ On retrouve chez McIlvanney tous les thèmes chers à son compatriote Ian Rankin au point de se demander si ce ne serait pas leur région, cette fameuse Strathclyde entre Edimbourg (le fief de Rankin) et Glasgow (celui de McIlvanney), qui les inspire tous deux : compromissions policières, mafieuses, politiciennes ou affairistes, guerre des gangs, ...
❤️ On apprécie l'intrigue à tiroirs, riche et complexe, construite peu à peu par McIlvanney qui possède parfaitement l'art de dessiner des personnages aux histoires sombres et denses, les bons comme les méchants. Tout cela nous emportera bientôt dans un long et superbe dénouement, quand tous les fils seront peu à peu dénoués, quand une justice presque divine sera rendue dans ce pays tiraillé entre deux églises.
[...] Avant même ses trois ou quatre ans, Chisholm avait été capable de deviner, au bruit de la clé dans la serrure, le degré d’ivresse exact de son père et combien lui-même devait avoir peur.

●    L'intrigue :

Comme chez Rankin avec le tandem Rebus/Siobhan, nous voici avec un duo de flics : Duncan McCormack et une jeune collègue Liz Nicol.
McIlvanney y ajoute une touche toute personnelle puisque son enquêteur fétiche ... est gay. Mais nous ne sommes qu'en 1975 et ce n'est pas franchement dans l'air du temps.
D'autant que McCormack n'est plus trop bien vu de ses collègues après avoir dénoncé la corruption d'un grand chef à plumes ... Ça non plus ça ne se fait pas, à Glasgow, en 1975.
[...] McCormack est devenu célèbre pour avoir démasqué la trahison d’un haut gradé, mais ses collègues n’ont pas apprécié.
[...] Tous les autres savaient ce qu’il était : un type qui dénonçait ses collègues policiers. Qui lavait leur linge sale en public. Un mouchard. Une balance.
Ça démarre avec l'incendie d'un entrepôt qui fait quelques malheureuses victimes collatérales, et la découverte un peu plus loin d'un cadavre salement amoché et torturé.
[...] –  Ça n’a pas été une mort facile, inspecteur. Quelqu’un voulait que cet homme souffre. Et il a souffert, aucun doute là-dessus.
[...] On l’avait torturé avant de l’assassiner et de le balancer dans cette décharge. Le degré de préméditation et de planification suggérait que le tueur avait déjà fait ça. Ou allait le refaire.
Tout cela sent le règlement de comptes entre gangs, sauf que McCormack et son équipe, qui n'entendent pas se contenter des porte-flingues, ont bien du mal à coincer les chefs de bande, les caïds de Glasgow.
Quand une bombe explose devant le pub de l'un des gangs, certains invoquent même les fantômes de l'IRA.
Mais nous sommes en Ecosse, dans le Strathclyde, à Glasgow et les choses vont donc s'avérer bien plus complexes. L'intrigue bâtie par McIlvanney est particulièrement riche, matière d'un sacré bouquin, très noir.
[...] –  C’est Glasgow, répliqua McCormack. On n’est pas trop du genre à réconforter. 

Pour celles et ceux qui aiment les whiskies écossais.
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Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions Métailié.
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