jeudi 5 juin 2014

Buvard (Julia Kerninon)

Au début était l’écriture.

Attention, jeune talent français.
La nantaise Julia Kerninon n’a que 27 ans mais vient de sortir un excellent premier roman : Buvard.
Et en s’attaquant à un sujet pas facile puisqu’il est question de littérature et d’écriture : beaucoup de choses ont été dites (et écrites !) là-dessus et il est toujours un peu casse-gueule de vouloir faire entendre sa voix dans un paysage déjà bien balisé.
Julia Kerninon réussit à tirer sa plume du jeu grâce en grande partie à son personnage principal, Caroline N. Spacek une écrivain(e) plus vraie que nature.
Une auteure à la réputation un peu sulfureuse, un peu secrète, un peu sauvage, recluse dans sa campagne, planquée à l’abri des regards indiscrets et fuyant les interviews intrusives, c’est la rançon de son grand succès.
Contre toute attente, un jeune homme épris de sa prose réussit à obtenir un rendez-vous avec la dame …

[…] L’interview s’est avérée tellement longue que ce livre en a découlé – puisque je suis arrivé chez elle un après-midi de juillet et reparti seulement en septembre, au terme de neuf semaines passées avec elle sous sa véranda à boire et parler et boire et parler et remettre inlassablement des piles dans le dictaphone.

Nous voici donc avec dans les mains un livre de Julia Kerninon avec dedans le livre du jeune Lou sur la romancière Caroline qui écrit des livres … Joli jeu de miroirs avec au centre, l’écriture, ses affres, ses douleurs, ses enchantements, on connait la chanson …
Julia Kerninon entonne son refrain sur cet air connu. Et fort justement, l’écriture  de la jeune nantaise est à la hauteur de son sujet.
Avec des petites phrases tracées pour faire mouche, parfois un peu convenues :

[…] Je l’écoutais parler et il me touchait – avec des mots – moi qui n’avais jusqu’ici été touchée que par des mains.

Mais le plus souvent éclairée de perles sublimes :

[…] Elle semblait vieillir au fur et à mesure de la journée, et je trouvais merveilleuse cette manière qu’elle avait d’être neuve tous les matins et vénérable tous les soirs, cette régularité qui faisait une boucle comme si sa vie n’arrêtait pas de recommencer pendant qu’elle me la racontait.

Durant ces quelques mois d’été naîtra une histoire d’intelligence (au sens premier) et presque d’amour(1) entre ce lecteur et cette auteure, un dialogue exploratoire où l’on découvrira chacun porteur d’un trop lourd passé :

[…] Nous avions survécu, vraiment. Elle avait écrit des livres et j’en avais lus, et nous étions là.

Et puis bien sûr on découvre ce métier, cette magie, cette passion qu’est l’écriture et qui semble plus tenir de la folie que de la vocation :

[…] J’étais confus, je me sentais désolé d’être cette personne qui voulait savoir comment s’écrivent les livres.
[…] Il n’en pouvait plus de me voir en train d’écrire toute la journée, il me rapportait des robes et du maquillage, il les déposait devant moi comme on attire les bêtes sauvages avec des fruits et du miel. Il aurait fait de moi une femme si je l’avais laissé faire, mais j’étais un écrivain.

L’aventure littéraire recèle également (et même fait corps avec) une belle histoire d’amour, tout aussi folle et passionnée.
Cette vraie-fausse biographie qui se dévore comme un polar, nous plonge au cœur des mystères de l’écriture. Caroline N. Spacek aura eu une vie et un métier passionnant.
C’est aussi le métier de Julia Kerninon : espérons que sa vie sera plus calme !

(1) - on vous laisse découvrir toute la subtilité de Julia Kerninon sur les relations entre ces deux personnages - c’est très fin et c’est l’un des charmes de ce bouquin très maîtrisé


Pour celles et ceux qui aiment les écrivains (et les femmes).
D’autres avis sur Babelio. Yue Yin et Cuné en parlent.




2 commentaires:

keisha a dit…

J'ai eu le même coup de coeur pour ce roman français contemporain, genre qui passe souvent mal chez moi...On attend le deuxième roman, bien sûr.

Theoma a dit…

à force d'en entendre du bien, je note !