vendredi 9 septembre 2011

La prière d’Audubon (Kotaro Isaka)

Alice au pays des merveilles nipponnes.

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C'était un coup de cœur des libraires Virgin mais cet étrange bouquin ne nous aura pas tout à fait emballés.
Il faut dire que le japonais Kôtarô Isaka souffre de la comparaison avec sa compatriote Yôko Ogawa et qu'il est bien difficile de se faire une place sur l'étagère de l'étrange et du bizarre aux côtés de la grande dame. 
Et cette Prière d'Audubon ne possède pas le charme des nouvelles de Madame Ogawa.
Reste une bien étrange histoire : à la suite d'un concours de circonstances, un jeune homme se retrouve sur l'île d'Ogishima, un microcosme coupé du reste du monde depuis des lustres (une situation bien connue des japonais !).
Notre esprit cartésien est encore un peu plus secoué lorsqu'on découvre qu'une rizière est occupée par un épouvantail ... qui parle.
Et pas pour rien dire, puisque l'épouvantail est capable de prédire l'avenir !
Bientôt quelques personnes disparaissent sur cette île fermée, quelques meurtres aussi. Et même l'épouvantail est assassiné !
Pour quelqu'un qui était supposé deviner son futur, ça la fiche mal. À moins que ...
Au fil des chapitres de cette intrigue mi fantaisiste mi policière, le voyageur-lecteur fera la connaissance de quelques personnages bizarres : un chat qui donne la météo sur son arbre, un peintre qui parle à l'envers, un poète qui n'hésite pas à tuer ceux qui s'écartent du droit chemin, et les fameux pigeons migrateurs du sieur Audubon.
Et c'est finalement tout un empilement de circonstances hasardeuses, d'événements et d'incidents fortuits, que l'on découvre au fil des pages jusqu'à la vision finale du puzzle. Sacré épouvantail !

[...] Il y avait en ce monde une île dont l'existence était ignorée de tous. Comme par hasard, cette île se trouvait au Japon et il y vivait entre autres un épouvantail doté du langage humain et des pigeons migrateurs qui avaient disparu du reste du globe depuis plusieurs décennies. Et j'allais croire tout ça ?

Un mélange curieux d'étrangeté fantaisiste et d'écriture nippone, comme désabusée et distanciée.
L'occasion aussi de découvrir cet étrange français qu'est Jean-Jacques Audubon, plus connu en Amérique sous le nom de John James Audubon !


Pour celles et ceux qui aiment les oiseaux et les épouvantails.
Philippe Picquier édite ces 441 pages qui datent de 2000 en VO et qui sont traduites du japonais par Corinne Atlan.
D'autres en parlent ici ou .

vendredi 2 septembre 2011

Le cantique des innocents (Donna Leon)

Polar sans crime.

Rien de tel que d'être coincé pour dans un hôtel de la banlieue de Madrid pour cause de surbooking sur la route de retour de vacances, pour vous faire découvrir quelques nouveaux bouquins, en fait les seuls en langue française dans une boutique de Bajajas ...
Ce sera donc le Cantique des innocents chanté par notre habituelle Donna Leon, mi-américaine, mi-vénitienne.
Revoici donc la Fred Vargas italienne (oui, on l'a déjà dit et redit) et son commissaire fétiche, Guido Brunetti.
Cet épisode-là tient la route même si ce n'est pas le meilleur de la dame et même si le sujet est un peu casse-gueule puisqu'il s'agit d'évoquer les adoptions peu orthodoxes et mieux encore les enfants que l'on peut acheter [de préférence à une fille de l'est] faute de pouvoir en faire. 
Un polar sans meurtre, presque sans crime.

[...] - Quels torts a-t-elle, en fin de compte ? D'être née dans le mauvais pays? D'être venue dans un pays plus riche. De s'être retrouvée enceinte, de ne pas vouloir le bébé et de trouver quelqu'un qui le voulait ? D'une certaine manière, elle a au moins le mérite d'avoir pris l'argent et de ne pas être revenue plus tard pour m'en demander d'avantage.

Juste une balade dans Venise, comme seule Donna Leon sait nous les organiser, avec le commissaire Brunetti comme guide.
Ça commence pourtant plutôt fort avec une descente musclée des carabiniers au domicile d'un pédiatre, sans doute coupable d'avoir eu un enfant qui n'était pas le sien mais dont la mère ne voulait pas.
Le gosse part à l'orphelinat auquel il était destiné, le pédiatre part à l'hôpital après s'être violemment jeté sur la crosse des fusils des carabiniers.
L'intrigue est mince mais suffira largement à Donna Leon pour démêler tout un écheveau de fils et contre-fils dans les arcanes du milieu médical italien.
Un bon épisode où l'on a même droit à une escapade de signor Brunetti et de la fameuse signorina Elettra(1) partis tous deux à Vérone jouer les faux parents en mal de vrais enfants.

[...] - Je suis allé à Vérone avec la signorina Elettra, dit-il, surpris lui-même de faire cette révélation. Nous étions un couple désespérant d'avoir un enfant. Je voulais vérifier si la clinique n'était pas impliquée  dans ces affaires d'adoption.
- Et est-ce qu'ils t'ont cru ? À la clinique ? " demanda-t-elle, même si Brunetti considérait que la question importante était de savoir si la clinique était partie prenante ou non dans les adoptions illégales.
" Je crois que oui ", dit-il, estimant plus prudent de ne pas essayer d'expliquer pourquoi.
Paola reposant les pieds par terre et s'assit. Elle posa son verre sur la table, se tourna vers Brunetti et retira un long cheveu noir du devant de sa chemise. Elle le laissa tomber sur le tapis et se leva. Sans rien dire, elle alla dans la cuisine préparer le reste du repas.

Hmmm, savoureux !
Rien que pour cette demi-page, le bouquin vaut le détour : les amateurs de Donna Leon et les fans de Brunetti (ou de Paola, ou de la signorina Elettra) apprécieront !
À force de lire Donna Leon on se demande comment on peut ne pas vivre à Venise ?
Ah oui, c'est vrai j'oubliais : on vit à Paris qui est encore plus belle !
Ceux qui découvriraient seulement Donna Leon pourront commencer par l'un des meilleurs épisodes comme Requiem pour une cité de verre.

(1) : oui, oui, BMR avoue un penchant coupable pour la signorina Elettra à la vie mystérieuse mais que l'on suppose ô combien tumultueuse !


Pour celles et ceux qui aiment les pâtes italiennes.
Points poche édite ces 341 pages qui datent de 2007 en VO et qui sont traduites de l'anglais (Donna Leon est une américaine qui vit à Venise) par William Olivier Desmond.

L’armée furieuse (Fred Vargas)

Le pelleteux de nuages dans le bocage normand.

Cet été, il fallait vraiment passer ses vacances sans lunettes au fin fond de la Creuse pour manquer le dernier Fred Vargas, promis au statut de polar de l'été, objet d'un battage médiatique soutenu.
Mais le succès étant ce qu'il est, cette Armée furieuse allait-elle tenir ses promesses ?
Reconnaissons que l'amie Vargas démarre très fort.
Grâce à Tavernier, James Lee Burke et Dave Robicheaux, on avait découvert il y a peu les brumes électriques des marais de Louisiane, propres à faire surgir du néant toute une armée de confédérés.
Avec Fred Vargas, ce sont maintenant les sous-bois du bocage normand qui laissent entrevoir, à la nuit tombée, la Mesnie Hellequin, l'Armée Furieuse.

[...] - Comment ça se présente ? De  quoi s'agit-il ?
- Il y a eu un meurtre - un homme - et une tentative de meurtre sur une vieille femme. On ne pense pas qu'elle survivra. Trois autres morts sont encore annoncées.
- Annoncées ?
- Oui. Parce que les crimes sont directement liés à une sorte de cohorte puante, une très vieille histoire.
- Une cohorte de quoi ?
- De morts en armes. Elle traîne dans le coin depuis les siècles des siècles, et elle emporte avec elle les vivants coupables.
- Parfait, dit Noël, elle fait notre boulot en quelque sorte.
- Un peu plus car elle les tue. Danglard, expliquez leur rapidement ce qu'est l'Armée Furieuse.

Une ‘vraie’ légende qui veut que depuis l'an mille, de Suède en Touraine, en passant par l'Allemagne et la Lorraine, et jusqu'en Normandie donc, les nuits de pleine lune voient défiler l'Armée furieuse du sieur Hellequin, une chevauchée d'esprits guerriers dont les âmes ne trouvent jamais le repos. Ces fantômes bruyants et caracolants viennent “se saisir” ici-bas de nouveaux compagnons malfaisants qui ne méritent pas, eux non plus, le repos éternel.
Malheur à vous, si l'on vous voit chevaucher et hurler en compagnie de la meute du sieur Hellequin : vous voici, à votre tour, condamné pour d'inavouables fautes commises ici-bas. Et condamné à très court terme : tout au plus vous reste-t-il quelques jours pour plier vos bagages avant le grand voyage. 
Alors bien sûr quand Lina, une jeune fille du village normand, affirme avoir vu trois ou quatre de ses concitoyens chevaucher à bride abattue un soir de pleine lune ... c'est la panique. D'autant qu'un premier cadavre est vite découvert.

[...] - Le Seigneur Hellequin a désigné des victimes, et un homme se croit légitimé pour les tuer. C'est ce que vous pensez ? Que la vision de Lina a fait surgir un assassin ?
[...] - Tout est venu de la Mesnie Hellequin. Elle est passée et je l'ai vue. Il y avait quatre saisis, il y aura quatre morts.

Est-ce l'Armée furieuse qui les emporte ? Est-ce un voisin “bien intentionné” qui a jugé bon de répondre à l'invitation de la Mesnie Hellequin et a voulu rendre lui-même “vraye justice” ?
De toute évidence ce mystère est de ceux auxquels Jean-Baptiste Adamsberg ne peut résister bien longtemps ! Et nous non plus !
Allez, vous prendrez bien un sucre dans votre café ou votre calva en regardant fixement ces vaches paisibles qui ne semblent pas bouger de la journée, un mystère encore plus impénétrable pour Adamsberg que celui de l'Armée du Sieur Hellequin.
Alors au final, le succès annoncé ?
Et bien c'est sans doute l'un des Vargas les plus solides, les mieux construits. L'intrigue policière (ou plutôt les intrigues car il y en a deux, presque trois, qui s'entrecroisent) est bien maîtrisée. On sent que Vargas a choisit de plaire à un plus large public.
Les dialogues savoureux, délicieux, onctueux, dont elle est coutumière, sont au rendez-vous. Les petites histoires débarquent sans prévenir, on n'y comprend goutte, et puis voilà, cinquante pages plus loin, ça resurgit et ça fait plop.
Mais on est devenu exigeant (trop ?) et tout cela semble trop raisonnable, trop sage. De belles explosions de ci, de là, mais le feu d'artifice n'est pas aussi délirant que, par exemple, dans un récent Lieu incertain.


Pour celles et ceux qui aiment les fantômes, datent-ils du Moyen Âge.
Viviane Hamy édite ces 427 pages qui datent de 2011.
On peut lire aussi cette intéressante interview de Fred Vargas herself.
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