mercredi 27 avril 2011

L’épopée de la croisière jaune (Jacques Wolgensinger)

Tintin en auto au Tibet.

Non rassurez-vous : les vacances cette année, c'est pas 'croisière' et c'est promis, on n'ira pas le voir (le film) et on n'en fera donc pas de billet ici. Ouf.
Non, ce bouquin, BMR l'a pioché un peu par hasard à la boutique du musée Branly (lors de l'expo sur les robes orientales de Lacroix, rien à voir(1)).
Cette Croisière Jaune aura bercé notre imaginaire durant de jeunes années ...
Tout comme celles de l'auteur : Jacques Wolgensinger, devenu ensuite chargé de comm' chez Citroën.
Forcément il a écrit le bouquin. À la gloire de son employeur. Mais bon, il a su garder un peu de réserve et ne pas sombrer dans le dithyrambe.
Reste donc l'épopée, l'histoire. L'Histoire de ces quelques hommes et de ces drôles d'autos à chenilles partis vers 1931 sur la Route de la Soie à la conquête de l'Asie.
Un premier groupe (le groupe Pamir) part de Beyrouth à l'assaut de l'Iran, de l'Afghanistan puis des Himalayas.
L'autre équipage (le groupe Chine) part de Pékin dans l'autre sens. Enfin, tente de partir de Pékin : c'est pas gagné et la Chine est en bisbille avec ... ses minorités ethniques. Et oui, les Ouïgours étaient déjà sur la brèche, c'était il y a plus de 80 ans !
Le groupe Pamir connaîtra les pires difficultés techniques dans les montagnes orientales, parfois obligé de démonter les voitures pièce à pièce pour les remonter de l'autre côté.

[...] C'est le premier pont. Il en reste quarante-quatre autres avant le col de Kilik.

Le groupe Chine connaîtra les pires difficultés politiques dans les déserts chinois au point de rester plusieurs mois prisonnier de tel ou tel seigneur de guerre local !

[...] Le groupe Chine tombe en pleine bataille : un convoi de troupes régulières chinoises est attaqué par les rebelles chantous. Les soldats sont en mauvaise posture; pratiquement cernés, ils n'ont aucune défense contre le tir des montagnards musulmans. [...] Mais voyant surgir les autochenilles, ils croient à des renforts chinois et battent en retraite. [...] Dans cette panique, les Français gardent leur sang-froid. Déjà Specht a bondi sur le toit de sa voiture, en quelques secondes il a mis sa caméra en batterie sur son trépied et il filme, filme éperdument.

Il y a tout juste ce qu'il faut d'enthousiasme naïf dans ce bouquin. Juste le style qui convient à cette folle équipée. Ça se lit très facilement et rapidement, sans trop de détails techniques (ouais, la mécanique c'est pas not' truc, alors). Non, pile poil le ton qui convient à cette aventure. Il y avait eu d'autres raids auparavant (la Croisière Noire en Afrique notamment) mais c'était "avant". Celle-ci est tombée juste au moment où il fallait, entre deux guerres, à l'aube de temps nouveaux. Papa Citroën avait peaufiné ses techniques de comm' pour en tirer un maximum de retombées.
Surtout que si l'on veut bien s'arrêter un instant sur les faits réels, force est de constater qu'aucune des voitures engagées n'aura traversé l'Asie ! Pour de multiples, bonnes et excellentes raisons, la jonction entre les groupes Pamir et Chine a eu lieu ... à cheval ! Voilà de quoi méditer sur la façon dont l'Histoire s'écrit ! Ça alors ! BMR en est resté sur le flanc, lui qui aurait juré avoir pratiquement vu les autos traverser l'Himalaya quand il était petit !
Bon, ça c'était pour le volet intello : on lit, mais voyez, on réfléchit quand même.
Et puis cela n'enlève rien à la gloire de cette équipée, à la folie de ces hommes, à la grandeur de leur(s) exploit(s).
À l'obstination franchement arrogante de leur leader, Georges-Marie Haardt. À l'entêtement très discipliné de cet équipage. À l'obéissance quasi militaire de ces hommes. Gentiment racistes, façon Tintin et Hergé, c'était l'époque. Chapeau mou et cravate pour traverser désert de Gobi ou haute-vallée de l'Hindus.

[...] Le soleil brûle, comme brûle sa réverbération sur la neige. Elle ne disparaît jamais à cette altitude. À Kochbel, on change les chevaux contre des yaks et les porteurs hounza contre des khirghizes. Les négociations sont quelque peu ralenties par les traductions : Pecqueur parle en anglais, un boy indien traduit en hounza, un porteur hounza traduit en khirghize ... et on repart dans l'autre sens !

Une époque où, même après des mois d'efforts et de promiscuité, on s'appelait toujours par son nom (et non le prénom), une époque où la dame qui cause dans le GPS n'avait pas encore remplacé le sextant.
Et oui, il fallait bien tout cela pour réaliser cet exploit, façon : tout le monde disait que c'était impossible, une équipe d'imbéciles qui ne voulait pas l'entendre a pris le volant et y est arrivée.

[...] - Là où il y a une volonté, il y a un chemin, répond Haardt.

Mine de rien, le bouquin arrive à fort bien rendre tout cela. La gloire de l'épopée tout comme son irréalisme idéaliste.
À notre époque où le Paris-Dakar n'a plus rien de Dakar et où le pari ne fait plus rêver personne, où l'homme ne va plus sur la Lune parce que son porte-monnaie est vide, à notre époque on aime bien rêver à une autre époque, celle où l'on n'avait pas encore tout vu tout fait tout visité. Et puis tiens, puisque les autos Citroën n'ont finalement pas vraiment franchi les ultimes montagnes c'est qu'il reste donc encore aujourd'hui quelques sommets invaincus ! Hardi !
L'épilogue est également une étrange leçon : G-M. Haardt meurt d'une pneumonie à peine arrivé en Chine. Bientôt Citroën sera terrassé par un cancer et les répercussions de la crise de 29. Sic transit ...
Allez, lisez cette belle aventure, regardez les images qui en ont été filmées et bien sûr allez caresser du regard l'auto n° 5 qui vient tout juste, heureux hasard de l'actualité, de s'exposer sur les Champs.

(1) : rien à voir, rien à voir, c'est vite dit : les autos Citroën sont quand même parties de Beyrouth ...


Pour celles et ceux qui aiment les autos et les hommes dedans ...