vendredi 26 février 2010

Du bon usage des étoiles (Dominique Fortier)

Perlerorneq.

Le lecteur prend rarement la mer mais c'est bien la mer qui risque de prendre le lecteur ...
Après l'étrange histoire d'Usodimare, l'expédition catastrophique de Shackleton, l'inéluctable déchéance du capitaine de Joseph Conrad, nous voici repartis dans un voyage sans fin, ou plutôt un voyage à la fin certaine.
Près d'un siècle avant l'expédition de Shackleton en Antarctique que nous contait il y a peu Mirko Bonné, voici l'histoire de l'expédition de Sir John Franklin parti en 1845 en Arctique à la recherche du passage du Nord-Ouest entre Atlantique et Pacifique, au nord du Canada, histoire narrée par la québécoise Dominique Fortier : Du bon usage des étoiles.
Et voilà bien un roman original, habilement construit.
La mise en page est parsemée (mais sans abus) d'une recette(1), d'un menu, d'un poème, d'une piècette de théâtre ou même d'une formule scientifique ou d'une partition musicale !
La structure même du récit est double où se répondent en écho les péripéties du voyage maritime et les mondanités des dames restées au pays.
Bientôt les deux navires de l'expédition sont pris par les glaces qui n'ont même pas le bon goût de fondre au printemps suivant : l'exploration tourne court, les vivres et le charbon des chaudières viennent à manquer en attendant un dégel improbable.

[...] Perlerorneq. C’est le mot par lequel les Esquimaux nomment ce sentiment rongeant le cœur des hommes pendant l’hiver qui s’étire sans fin et où le soleil n’apparaît plus que de loin en loin. Perlerorneq. Rauque comme la plainte d’un animal qui sent la mort approcher.

L'arrogance inconsciente de ces conquérants partis équipés de quelques tonnes de bouquins et de charbon à la conquête des glaces frise parfois le délire : l'Amirauté répète à qui veut l'entendre (c'est-à-dire de moins en moins de monde au fil des mois puis des années) que ces deux superbes navires of Her Majesty, caparaçonnés de métal et équipés de chaudières, ne peuvent pas rester pris par les glaces. Rigoureusement et scientifiquement. Puisqu'on vous le dit.
À cette époque bienheureuse, on avait encore une foi aveugle en la science et en le progrès ... sûr qu'en cas de grippe annoncée, on allait se faire vacciner en chantant.
Sur l'autre face de ce double récit, en Angleterre, femmes et fiancées mènent une vie frivole dans leurs manoirs, de bals en réceptions, venant à s'inquiéter quand même de l'absence de l'être aimé, peu à peu, au fil des mois puis des années.
Et de chaque côté du globe on regarde les mêmes étoiles, pour y lire un chemin ou un destin ...

[...] Lady Jane écrivait donc à Sir John presque tous les soirs, des lettres longues, regorgeant de détails, de nuances, d'observations et de recommandations. Il ne lirait pas ces missives avant son retour, mais elle croyait presque qu'il lui suffisait d'en tracer les mots sur le papier pour que, mystérieusement, ils trouvent le moyen de parvenir à son mari, sous une forme ou une autre, en rêve, qui sait. Au fond, un tel échange de pensées par-delà l'océan n'aurait pas été si différent des merveilles que l'on attribuait au magnétisme, et si un pôle de la Terre pouvait attirer sans coup férir toutes les aiguilles aimantées, pourquoi l'esprit de son mari n'attirerait-il pas les mots que lui destinait son épouse par-delà l'océan ?

L'écriture de Dominique Fortier est précise et fluide, riche et agréable(2).
Sans forcer le trait, elle sait distiller un peu de ce charme suranné du XIX° siècle.
Et puis, au détour d'une phrase et c'est là tout le sel de ce roman, surgit un trait d'humour irrévérencieux et pas du tout politiquement correct : l'arrogance british dont font preuve les uns et les autres semble bien annoncer la fin prochaine de l'Empire.
Car si, d'un côté, les bateaux sont pris par les banquises, il semble bien que la société victorienne ait, elle aussi, emprisonné dans ses glaces la fougue des jeunes gens de la belle époque de l'Empire, des jeunes femmes en particulier.
Et si l'on avait tout d'abord embarqué avec Dominique Fortier pour suivre aventureusement une expédition virile de glorieux marins dans le Grand Nord, on se prend peu à peu d'un vif intérêt pour le destin de Lady Jane Franklin (la femme du capitaine) et de Sophia (une cousine, fiancée d'un officier).

(1) : ne vous précipitez pas sur le livre uniquement pour cela : c'est la recette du plum-pudding de Noël ... qui réclame plusieurs semaines de préparation !
(2) : ce n'est pourtant que le premier roman de Dame Fortier ... qui est par ailleurs, éditrice et traductrice.


Pour celles et ceux qui aiment les histoires de femmes de marins.
Les éditions québécoises Alto éditent ces 345 pages qui datent de 2008.
Caroline en parle, Cuné, Malice, SanSeverina aussi.

dimanche 21 février 2010

La dent du narval (Piero Colaprico)

M comme Milan.

Hasard des coïncidences fortuites, c'est en sortant du ciné après le décevant Océans(1) que l'on a entamé le polar du journaliste Piero Colaprico : La dent du narval, premier épisode d'une trilogie milanaise. Mais cette dent de narval sera le seul élément maritime du bouquin.
L'Italie est sans doute le pays d'Europe qui nous est le plus proche et ses habitants ceux qui nous ressemblent le plus, par la langue et la culture et par bien d'autres aspects encore.
Jusqu'en politique : on a même maintenant un clone de leur président, en plus petit.
Chacun connaît, selon son histoire et ses voyages, soit les rues de Rome, soit celles de Turin ou celles de Vérone sans parler des quais de Venise.
Piero Colaprico nous propose de (re-)découvrir les rues de Milan où s'est égarée une corne de narval ... plantée en plein cœur d'une jolie fille.
Le papa revient tout juste d'une mission d'agent secret et la maman s'enfuit avec la caisse ...
L'inspecteur Francesco Bagni mène l'enquête.
Un flic désabusé, presque nostalgique du bon vieux temps où les bandits étaient encore de vrais bandits.

[...] au début des années 1980, quand Bagni faisait les nuits pour apprendre à "lire" les cadavres des types qu'on avait descendus. Cette ville violente et féroce, bourrée de tripots, d'entraîneuses assisses sur les genoux des politiciens et des mafieux, grouillante d'acteurs et de chanteurs, cette ville avide et corrompue, Bagni la regrettait un peu, et pas seulement parce qu'il n'était plus aussi jeune qu'alors.

Encore un inspecteur aux prises avec une grande ville, sa ville, mais qui, contrairement à la plupart de ses collègues anglo-saxons, est plus porté sur les filles que sur la bouteille ... (on est en Italie !).
On retrouve dans ce bouquin un peu de l'ambiance milanaise du film de Francesca Comencini : A casa nostra.
Quelques piques politiques également à l'égard de la politique berlusconienne que l'on avait déjà décelées dans les polars vénitiens de Donna Leon :

[...]"Quand on aura fiché tout le monde, les Italiens comme les étrangers, ça ne se passera plus. Ceux qui ont la conscience tranquille n'auront rien à craindre !"

L'inspecteur Francesco Bagni, Francè pour les ami(e)s, a pour modèle le détective catalan Pepe Carvalho(2) au point qu'on finira par le surnommer dans cette enquête : Pepe Narvalho ...
Un narval qui sera le fin mot de l'histoire pour un dénouement qui laisse une toute petite lueur d'espoir poindre dans Milan la grise, une ville sur laquelle tombe une pluie fine qui pue la corruption, la concussion et la prévarication.

(1) : très très belles images bien entendu (où l'on voit effectivement quelques narvals), mais film brouillon où Papy Perrin explique à son petit fils (en peu de mots fort heureusement) qu'il ne faut plus manger de sushis.
(2) : il faut absolument qu'on ressorte Manuel Vasquez Montalban de nos étagères et qu'on parle de lui ici !


Pour celles et ceux qui aiment les escalopes.
Rivages Noir édite ces 206 pages qui datent de 2004 en VO et qui sont traduites de l'italien par Gérard Lecas.
Jean-Marc en parle.

lundi 15 février 2010

Le silence de la pluie

L’homme de Rio.

On avait déjà évoqué le tenancier de la Grande Crimerie qui nous avait conseillé deux voyages en classe polar.
La première destination était celle de Bethléem, avec Le collaborateur.
Nous voici aujourd'hui partis pour Rio, un coin plus sympa de prime abord que la Palestine, avec Le silence de la pluie du brésilien Luiz Alfredo Garcia-Roza.
Au début, on se croirait dans un polar américain, mais d'Amérique du Nord : argent, révolver, femme fatale, escroquerie à la prime d'assurance, ...
Et il faut plusieurs chapitres avant que la chaleur et la sensualité du sud viennent colorer les rues de Rio et les pages de ce bouquin.

[...] Dans les films américains, les policiers n'étaient pas aussi désemparés. Le médecin légiste dévoile pratiquement le crime à l'inspecteur, celui-ci n'a qu'à faire une poursuite spectaculaire dans les rues de New-York, San Francisco ou Los Angeles. Au cas où le légiste échouerait, il y a toujours la possibilité d'envoyer au FBI un cheveu trouvé sur le lieu du crime et le lendemain nous savons même de quelle équipe de football son propriétaire est supporter. Ici dans cet agréable tiers-monde, le rapport du légiste indiquait rarement si la victime était morte par balle ou par empoisonnement.

Le héros de Garcia-Roza est un flic plutôt sympa : il traîne un nom de philosophe (Espinosa), fréquente les bouquinistes chez qui il achète des Joseph Conrad (page 156), empile ses bouquins sans étagères pour que la femme de ménage puisse balayer son salon, ... et évite soigneusement de faire confiance à ses propres collègues.
Le montage de l'intrigue est bien vu : d'entrée de jeu le lecteur en sait plus que l'inspecteur lui-même pour qui tout parait trop simple dans cet assassinat que nous savons être un suicide.
Un inspecteur qui passe son temps à élucubrer des scénarios plus ou moins vraisemblables et à échafauder des hypothèses qu'il démonte aussitôt.

[...] J'étais en train de devenir confus. C'est incroyable la capacité que j'ai à m'égarer.

Pour un peu on aimerait bien qu'Espinosa continue à tourner en rond dans les rues de sa ville et les méandres de son enquête, histoire de prolonger le plaisir de la balade.

[...] Le délai que le commissaire principal m'avait donné pour me charger de l'affaire et présenter un rapport pour le moins éclairant était sur le point d'expirer et, malgré le fait que la situation originelle avait été augmentée d'une mort supplémentaire et d'une disparition et que l'arme du crime avait été retrouvée, je ne considérais pas que j'avais fait un progrès significatif dans l'élucidation de la mort de Ricardo Carvalho.

Un polar original et bien mené, une promenade pas toujours paisible mais toujours agréable dans les rues et les bars de Rio, ... que demander de plus ?
On a même droit en prime à un dénouement très (comment dire sans trop en dévoiler ?) très plaisant ? où l'assassin reçoit un châtiment qu'il ne méritait pas (ce doit être ça qu'on appelle un happy end dans le sud).
Last call : le commandant Garcia-Roza prie les lecteurs du vol Actes-Sud 288 pour Rio de bien vouloir embarquer sans tarder, décollage imminent !


Pour celles et ceux qui aiment les jolies filles de Copacabana.
Babel-Actes Sud édite ces 288 pages qui datent de 1996 en VO et qui sont traduites du portugais par Valérie Lermite et Eliana Machado.
TLP en parle (et très bien).

dimanche 14 février 2010

Des myrtilles dans la yourte (Sarah Dars)

Quand souffle le vent des steppes.

Voilà de quoi planter un petit cœur dans un endroit pas banal de notre carte du monde des polars: en plein centre des steppes de l'Asie centrale, en Mongolie.
Après avoir traversé ce pays à bord du Transmongolien il y a deux ans, d'Irkoutsk à Pékin, fascinés par les cercles blancs des yourtes sur le vert de la steppe ou par le désert de Gobi qui filait entre les rails, on ne pouvait évidemment pas laisser passer ce polar : Des myrtilles dans la yourte.
Un bouquin d'une française voyageuse, Sarah Dars, qui a écrit également d'autres histoires policières sur l'Inde qu'elle connaît aussi très bien.
Il ne fallait pas s'arrêter au mauvais jeu de mots du titre qui cache en réalité un livre fort intéressant.
Sarah Dars connait bien la Mongolie, elle aime ses habitants, elle admire ses paysages et elle s'entend à nous faire partager son approche de leur culture.
Pour voyager en classe polar, comme on aime ici à le dire, ce bouquin est tout simplement idéal, presqu'un guide de voyage.
Sans naïveté inutile, sans langue de bois, Sarah Dars réussit à éviter les clichés convenus et nous fait découvrir la Mongolie d'aujourd'hui, écartelée entre tradition nomade et modernité sédentaire, entre pratiques chamaniques et bouddhisme rituel, entre colons russes et envahisseurs chinois (et vice versa).
Un pays qui essaye également de s'ouvrir au tourisme occidental.

[...] Certes les Mongols présents n'étaient plus ces bons sauvages ou ces terrifiants barbares - au cours des siècles les opinions avaient souvent fluctué, beaucoup divergé -, c'étaient des gens bien dans leur peau, fiers de leur modernité et de leur capacité à négocier avec les uns et les autres sur un pied d'égalité, tout en recevant avec urbanité des touristes ravis. Oublié le temps où, pris en tenailles entre ces excellents joueurs d'échecs russes et ces éminents joueurs de go chinois, les Mongols, eux-mêmes admirables joueurs d'osselets, redoutables archers et impeccables cavaliers, ne connaissaient jamais le répit.

Le prétexte au voyage est une petite intrigue policière : deux américains sont venus chasser les antilopes des steppes.
Accompagnés de leurs guide, interprète et chauffeur mongols, ils s'éloignent dans la steppe, progressant de campement de yourtes en campement de yourtes.
Mais bien entendu, les éléments sont contraires, les américains se montrent arrogants et irrespectueux(1), le gibier se fait rare, l'ambiance du petit groupe se dégrade et l'équipée tourne mal : l'un des deux américains disparaît ...
Vengeance irritée de l'un des guides ? Embrouille ratée avec un trust pharmaceutique russe ? Trafic manqué avec une compagnie minière chinoise ?

[...] - Je crois que j'aimerais encore mieux avoir à dénombrer les grains de sable du désert de Gobi que devoir démêler les fils de cette histoire ...

Yesügei, le flic mongol amateur d'alcools et de femmes, menacé de retraite anticipée pour insubordination, commence son enquête, progressant de campement de yourtes en campement de yourtes sur sa moto Guzzi(2), essayant de soutirer habilement quelque information à ces rudes hommes des steppes que sont ses compatriotes.

[...] Yesügei aimait les paysages de sa terre natale, autant, plus même, que les femmes. À vrai dire, les uns lui évoquaient les autres et vice-versa et son goût pour les deux s'en trouvait renforcé. Les femmes aux reliefs proéminents lui rappelaient les sommets de l'Altaï; les plus vallonnées, le Khangaï; les fausses plates, la steppe; les profondes, le Gobi; les brillantes, le ciel; les ondoyantes, une rivière.

On retrouve chez Sarah Dars une ambiance étonnamment proche des polars navajos du regretté Tony Hillerman(3): certes Oulan-Bator et Gallup sont presque aux antipodes mais ce sont deux régions rudes et sauvages qui ont façonné de semblable façon les hommes qui les habitent, des taiseux, que seuls les flics du cru savent apprivoiser.
Pour ne prendre qu'un exemple, on se rappelle peut-être que les navajos ne prononcent pas le nom des morts pour laisser leur âme en paix : ici, certains mongols préfèrent taire leur propre nom et s'affubler d'un sobriquet pour se protéger des mauvais génies !
Rendons grâce à Sarah Dars d'arriver à faire paraître son lecteur plus intelligent, le temps de ces quelques pages, mais sans prise de tête ni prétention : l'intrigue policière est mince et ne sert que de prétexte à un agréable voyage habilement parsemé d'illustrations de la culture mongole.
L'écriture est précise et l'apparente facilité de lecture masque un vocabulaire étonnamment riche (du mongol et du français), c'est un régal.
En attendant, on l'espère, une prochaine enquête de Yesügei, le voyage en Inde en compagnie de cette auteure (4) nous tente bien ... on en reparlera !

Quelques tranches de vie de ce peuple de cavaliers et de chasseurs :

  • à propos de la graisse de chameau dans le thé : la poussière, on l'essuie, la graisse, on la lèche.
  • à propos d'un bavard qui exagère : il ajoute volontiers des crinières par devant et des queues par derrière.
  • à propos de quand les poules auront des dents : oui, c'est ça, quand la queue du chameau touchera terre !
  • à propos d'une amusante légende : à l'origine, la tête des chameaux était pourvue d'andouillers. Ces imprudents les prêtèrent à des cerfs qui ne les leur ont jamais rendus.
  • à propos de quelqu'un de collant : il vous suit comme la rate adhère à la panse, comme le taon d'été s'attache à la croupe du cheval.
  • à propos du premier gobelet d'eau de vie que l'on jette en l'air : c'est la part du soleil.
  • à propos des fameuses myrtilles : on les appelle les baies-nuages à cause de leur couleur de ciel d'orage.
  • à propos des mystérieux dons des chamanes : il est des yeux qui voient, d'autres pas.
  • et ma préférée, à propos d'un enfant adopté : il n'est pas né tout nu mais est arrivé tout vêtu.

(1) : je cite (page 56) : a-t-on idée de porter son vêtement sur l'épaule ? de montrer du doigt ? de postillonner sans s'excuser ? de prendre ou donner de la main gauche ? d'exposer ses semelles ? de fouler le seuil d'une yourte au lieu de l'enjamber ? de boire sans penser à en offrir ?
(2) : une moto rachetée jadis à un hippie impécunieux !
(3) : il y a quand même des références moins flatteuses !
(4) : plusieurs enquêtes du brahmane Doc sont parues chez Picquier poche


Pour celles et ceux qui aiment les cavaliers, indiens ou mongols.
Philippe Picquier édite en poche ces 254 pages qui datent de 2009.
Dédale en parle tout comme Hannibal ou Zaelle.

samedi 13 février 2010

Le sourire de l’ange (Joyce Carol Oates)

Sourire diabolique.

C'est grâce à la BoB team de BlogOBook (et aux éditions ArchiPoche) que Le sourire de l'ange est tombé dans notre PAL.La bOb Team
Joyce Carol Oates est une auteure réputée qu'on ne présente plus.
De temps à autre elle doit ressentir le besoin d'un moment de détente et, comme on se prend une grille de mots croisés, elle endosse le pseudo de Rosamond Smith et se met à écrire des thrillers.
Et cela ressemble beaucoup (beaucoup trop en fait) à du Patricia Highsmith.
Dans la société chic de la banlieue de Boston (madame est directrice adjointe d'une fondation de mécénat), une jeune veuve (Dorothea, trop jeune pour être veuve) entretien une relation avec un homme marié.
Un ange tombé du ciel ou presque (retour du neveu prodigue d'une amie) vient perturber la vie tranquille de la petite ville de province.
Il faut dire que, Colin Ash,  le jeune homme a pris la désagréable habitude de tuer (il a beaucoup souffert dans sa jeunesse bien sûr). Et ne voilà-t-il pas qu'il tombe amoureux de la jeune veuve ?
Tellement amoureux qu'il est prêt à lui rendre de menus services comme de trucider d'éventuels rivaux en amours comme en affaires. Serviable mais encombrant.
D'autant qu'il note tout cela dans un cahier bleu.

[...] Colin Ash était fou, mais qu'est-ce que cela signifiait "fou" ? Que le jeune homme avait assassiné deux personnes innocentes sans même pouvoir expliquer pourquoi.  Qu'il n'éprouvait pas le moindre remords et qu'il semblait plutôt fier de ses actes. Qu'il croyait dur comme fer que la vie et le destin de Dorothea Deverell étaient inexorablement liés aux siens. Tout cela ne constituait qu'un tissu de faits à la surface de son être, tout comme le blond de ses cheveux, son visage osseux et sa haute taille. Ces évidences le décrivaient mais ne suffisaient pas à le définir.

Tout cela est bien gentil, fort bien écrit (c'est quand même Joyce Carol Oates) et se lit même sans déplaisir mais n'a jamais réussit à nous attraper.


Pour celles et ceux qui aiment les soucis des riches.
Archipoche édite ces 313 pages en poche qui datent de 1989 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Pierre Charras.
Incoldblog a su voir le verre à moitié plein.

mercredi 3 février 2010

Les pingouins n’ont jamais froid (Andrei Kourkov)

Le manchot et les bandits.

En tout début d'année, on avait eu un petit coup de cœur pour Victor et son pingouin Micha.
A. et T. nous ont donc prêté la suite : Les pingouins n'ont jamais froid, du même ukrainien Andreï Kourkov.
Nous étions impatients de retrouver l'univers kafkaïen de cette Ukraine en complète perdition, l'humour et l'absurde des histoires de Kourkov. Impatients bien sûr des retrouvailles de Victor et de son inénarrable pingouin.
Las, Victor rencontre quelques difficultés pour retrouver son copain qu'il lui faut aller chercher au fin fond de la Tchétchénie.
C'est bien sûr prétexte à de savoureuses descriptions des mœurs et usages en vigueur dans cette univers post-soviétique totalement corrompu et pourri jusqu'à la moelle pour les siècles des siècles.

[...] Chaque pays est une sorte d'immense corps composé de milliers d'organes et de millions de petites cellules qui s'agitent en tout sens, les humains. Plus le corps est grand, moins il est sain. Il faut en permanence le traiter, l'opérer, anesthésier certaines parties en espérant ne jamais avoir besoin de recourir à une anesthésie générale. Cette crainte contribue à multiplier les anesthésies locales.

[...] Notre pays est immense, et les gens capables de penser et d'agir, ou simplement de penser, y sont bien trop rares. Un vrai désert intellectuel ! La quantité de problèmes dépasse largement la quantité d'hommes capables de les résoudre ...

Mais même si les bandits de la mafia russe ne sont pas manchots, le pingouin Micha se fait un peu désirer ...
Reste l'épisode en Tchétchénie, hallucinant, où Victor se laisse embrigadé dans une unité un peu spéciale qui a piraté un oléoduc pour alimenter un four crématoire où l'on brûle les cadavres encombrants : russes, tchétchènes, mafieux, la maison n'est pas regardante sur la marchandise qu'on lui confie. Le jeudi soir, on fait même nocturne avec ristourne sur les prix et les "clients" se bousculent ...

[...] Les jeudis, Siéva rayonnait. En fait, il était toujours content, mais le jeudi, à la veille du vendredi "qui rapportait", il s'animait encore plus. La nuit du jeudi au vendredi était toujours chargée en cadavres, car, suivant un usage instauré par Aza bien avant leur arrivée, c'était tarif réduit pour tous. Victor et Siéva ignoraient le montant de la remise, car les clients traitaient directement avec Aza, mais en tout cas il y avait plus de travail, donc plus de pourboires.

Les autres aventures de Victor (et sur la fin Micha) restent fidèles au ton cynique et désabusé de l'auteur mais sont quand même moins originales que celles du premier tome. Vous l'aurez compris : mieux vaut se concentrer sur le premier épisode.


Pour celles et ceux qui aiment encore les pingouins.
Seuils Points édite en poche ces 398 pages qui datent de 2003 en VO et qui sont traduites du russe par Nathalie Amargier.
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