vendredi 13 novembre 2009

Les conspirateurs (Shan Sa)

Sexe, mensonges et vidéo.

C'est grâce à la BoB team de BlogOBoook (et au Livre de Poche) que Les conspirateurs de Shan Sa sont tombés dans notre PAL.La bOb Team
Rappelez-vous il y a vingt ans : quelques mois avant la chute du Mur dont nous venons de parler, en juin 89, la Chine sortait de plus de vingt ans de RévoCul et l'Empire tremblait sur ses bases ...
Shan Sa, une chinoise qui vit en France (et écrit en français) a été naturellement profondément troublée par ces évènements et tente d'en retrouver le sens dans plusieurs de ses bouquins, au travers d'Ayamei, une jeune chinoise supposée avoir été au cœur de ces troubles.
Déjà croisée dans la Porte de la paix céleste, revoici Ayamei espionne à Paris.
Ils sont beaux, ils sont encore jeunes, ils ont de l'argent, ils voyagent, ils fréquentent les beaux hôtels et les grands restaurants, ils sont amoureux, ils habitent de grands et beaux appartements du V° avec vue imprenable sur le jardin du Luxembourg (1) ...
Elle est chinoise, c'est une espionne et doit le séduire. Il est américain, c'est un espion et doit la séduire.
Ces deux conspirateurs sont plus ou moins agents doubles ou triples (plutôt plus que moins : à eux deux, ça doit faire au moins quatre ou cinq espions !) et les chapitres successifs du roman retourne le lecteur comme on retourne un espion.
Raconté ainsi, on dirait un roman de série B, ce que laisse d'ailleurs croire la quatrième de couverture (2).
Mais on connaît Shan Sa depuis longtemps maintenant  (c'était avec La joueuse de go, déjà un duel) et il faut donc se garder de cette première lecture trop rapide, même si on est quand même loin de l'inspiration de la très belle joueuse de go.
Ce qui intéresse Shan Sa ce sont ces deux personnages désincarnés, sans vie et sans âme, qui ont abandonné leur destin depuis belle lurette en des mains supérieures qui tirent leurs ficelles.
Ils sont sans passé (ou avec des passés multiples et mensongers ce qui revient au même), sans personnalité (ou avec des personnalités multiples et mensongères, ce qui revient au même). Ils ne sont plus eux-mêmes, se trompant même parfois de "personnage" en jouant leur rôle avec une épouse ou un amant.
Un peu de sexe, beaucoup de mensonges et même un tout petit peu de vidéo.
Le bouquin se lit facilement et rapidement : on ne fait qu'effleurer la surface de ces deux fantômes, de ces deux marionnettes.
C'est glaçant, sinistre, cynique et désabusé, triste à mourir (oui, justement).
Deux êtres broyés depuis longtemps sur l'autel de la raison d'état et dont il ne reste pas grand chose, que cette enveloppe charnelle qui continue à jouer, manipuler, mentir, ...
Entre l'américain et la chinoise : un français, Philippe, ministrable ambitieux, affairiste et roulé dans la farine (et les bras de la chinoise), comme notre République sait si bien en produire.

[...] - Dans ce monde, les forts se maintiennent et les faibles sont éliminés. Ton Américain fait semblant et tu le crois ! Entre vous, il n'y aura jamais de sentiment. Ce sera toujours de la compétition.
Elle secoue la tête.
- Philippe, toi et moi sommes de la même espèce : nous mangeons pour nous emparer de la saveur, nous baisons pour voler un plaisir ou un renseignement, nous courons en avant pour fuir le passé, le présent, l'éternité. Afin de ne jamais faillir dans la manipulation, nous devons d'abord castrer nos émotions, verrouiller nos sentiments. L'amour existe ... mais c'est un sommet qui nous est inaccessible.

On retrouve ici exactement le cynisme de films récents qui évoquaient également ces hommes et femmes vidés de leur substance et transformés en machines à renseignements : Secret défense, Espions, ...
Comme si désormais en ce XXI° siècle l'espion n'était plus ce qu'il était ...
L'autre intérêt (et non des moindres) du roman de Shan Sa, c'est le personnage de l'espionne chinoise rescapée de la place Tianan Men.

[...] Je fréquentais les étudiants des différentes facultés. Les idées nouvelles soufflaient sur Pékin. Les livres censurés, les revues politiques venues de Hong-Kong circulaient en secret. La police faisait irruption dans les concerts de rock clandestins, fermait les expositions de peintures jugées dégradantes, mais les interdits étaient devenus un formidable excitant pour la création. Après dix années de Révolution Culturelle, nous avions enfin l'impression d'entrer dans un cycle positif.

Les souvenirs d'Ayamei ravivent entre ces pages, ce vent de mai 68 qui soufflait alors en 89 sur la Chine. C'était il y a tout juste vingt ans, pendant que s'effritait chez nous, le Mur de Berlin.
On retrouve là toute l'ambiance du film de Lou Ye : Jeunesse chinoise, qui évoquait justement l'ébullition de la jeunesse chinoise en ce printemps 89.
Mais depuis la guerre froide s'est terminée, la planète s'est réchauffée et la Chine s'est réveillée : l'idéologie qui faisait d'Ayamei un agent double au service de la noble cause de son grand pays a fondu au soleil du capitalisme.
Le terrible ennemi occidental est devenu un simple concurrent commercial.

[...] Je me prostituais au nom du communisme alors que le pays ne fonctionnait plus qu'à l'économie de marché.

Cette ambiance de fin de règne ajoute au désespoir de la belle espionne : non seulement elle y a laissé son âme, mais ce fut en vain.
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Qu'on nous permette de relever un signe des temps modernes : quelques bouquins déjà, quelques films également, se permettent d'insérer de courts passages en VO (ici en anglais basique) sans traduction. Peut-être est-ce encore un effet de mode, Blue Gray y voit là un artifice superflu, mais pour l'instant cela nous intrigue, voire nous amuse. À suivre !

(1) là j'avoue : mesquine jalousie, je le reconnais volontiers
(2) ce qui nous avait d'ailleurs tenus jusqu'ici à l'écart de ce bouquin


Pour celles et ceux qui aiment les mata-hari.
Le livre de poche édite ces 218 pages en poche parues en 2005.
Blue Gray, Lousia, n'ont pas aimé.
Ankya, Typhania, Pisi, sont plus positifs.

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