mardi 28 octobre 2008

BD : La légende des nuées écarlates (2)

Du sang sur la neige.

Depuis janvier 2007 on attendait avec impatience la sortie du second tome de La légende des nuées écarlates, une superbe japonaiserie de l'italien Saverio Tenuta.
Les dessins (les peintures, devrait-on dire) sont absolument splendides et plutôt qu'un long discours, voici une planche du dernier volume et une autre du premier tome, avec ces images superbes qui rappellent bien entendu estampes et calligraphies japonaises. Trop beau !
D'autres planches sont également visibles sur le site des Humanoïdes (derrière l'imagette à gauche).
Le scénario est riche et à la hauteur des dessins avec toute une alchimie complexe entre passé et présent.
L'histoire commence dans le Japon médiéval par un théâtre de bunraku puis la jeune marionnettiste doit prendre rapidement la fuite avec un ronin manchot, borgne et amnésique, en proie à des voix intérieures.
Le côté fantastique offre une belle toile de fond mais reste suffisamment discret pour ne pas étouffer l'histoire et les personnages qui vont peu à peu retrouver leur passé et ainsi nouer l'intrigue.
Le premier album plante le décor (magnifique) et les personnages (complexes).
Le second nous permet d'aller plus loin dans la connaissance de ces personnages, dans leur histoire et donc dans les relations qui les unissent depuis les drames du passé.
Voici un aperçu de la légende (ou ici en images) :

[...] - Douce Myobu, parle-moi de ton village encore une fois.
- Non, cette fois-ci, je vais vous raconter une autre histoire ...
Une histoire qui parle d'espoir.
Un jour, il y a longtemps, un petit garçon de mon village marchait dans la forêt de glace. Son petit loup et lui avaient perdu leur chemin.
Ils erraient depuis longtemps, épuisés et apeurés. Leur faim grandissait et l'enfant voyait avec désespoir son petit loup s'éteindre lentement.
Il prit son couteau, observa le métal brillant et prit sa décision.
Il enfonça la lame dans son visage. Un des propres yeux, c'était là l'unique repas que le garçon pouvait offrir.
Pas un gémissement ne sortit de sa bouche.
Sans comprendre, le louveteau affamé mangea pendant que l'enfant perdait ses forces.
Cependant, une ombre noire et terrifiante les observait.
Le lendemain, les gens du village retrouvèrent le petit corps recroquevillé parmi les feuilles.
Il était faible mais il vivait encore.
Lorsqu'il se réveilla, le petit garçon allait bien.
Seul un de ses yeux brillait d'un couleur différente. Mais avec le temps même cette nuance disparut.

L'imagerie japonaise est à la mode depuis plusieurs années dans le monde de la BD occidentale et ces Nuées écarlates sont celles des sommets, celle du sommet du Fuji San !
Les talents déployés par l'italien Saverio Tenuta rappellent inévitablement les dessins animés de Miyazaki avec ses chevauchées à dos de loups et l'envahissement du monde de l'homme par celui de la nature (ici la forêt de glace).
Les nuées écarlates en question c'est le nom des sabres du ronin : l'éclat du sang sur la neige, voilà qui s'avère ici particulièrement BDgénique.
Une autre critique ici.


Pour celles et ceux qui aiment le sang sur la neige.

dimanche 26 octobre 2008

BD : Climax

Année polaire.

Avec un titre pareil, Climax, sûr que la fréquentation de ce blog va monter en flèche !
Mais qu'on ne s'y trompe pas, le sujet est sérieux.
Même s'il s'agit là d'un sujet à la mode, vendu à toutes les sauces, rebattu et rabâché, mais en ces temps de crise financière, il est bon de se rappeler qu'il n'y a pas que les profits en Bourse qui fondent mais les banquises aussi, enfin peut-être.
Et puis c'est l'année polaire internationale.
Alors (histoire de reboucler sur la crise financière !) pendant que les Russes volent au secours de l'économie islandaise ... et peut-être aussi à la recherche du gaz arctique, suivons les traces de la belle Leia, une chercheuse en mission au Pôle Sud.
Une bien jolie chercheuse qu'on aurait aimé avoir comme prof de maths ... mais non on avait un vieux grognon qui faisait tomber les cendres de ses gitanes maïs dans nos cartables en parcourant les rangs ! Bon, revenons à la belle Leia ...
On retrouve dans les cases de la BD les mêmes images : bientôt, les silhouettes des stations Concordia ou Vostok nous deviendront aussi familières que celles des Apollo ou Soyouz.
Avec en prime le mystère du lac Vostok enfoui sous les glaces depuis des millions d'années.
Au fil des deux tomes parus, tout y est : superbes paysages glacés, suspense technico-policier, infos scientifiques sur l'évolution du climat et des pôles, une BD pas bête qui surfe sur la glace et un sujet à la mode.
Une planche ici.


Pour celles et ceux qui aiment le froid et la neige.

jeudi 23 octobre 2008

Dérive sanglante (William G. Tapply)

Je t'emmène dans le Maine.

Dérive sanglante : la navrante traduction du titre original (Bitch creek) rend bien mal le charme campagnard de ce polar bien sympathique.
C'est Michel, le sérial lecteur, qui nous avait fait découvrir ce nouvel auteur Willliam G. Tapply, amoureux de la pêche.
Et (hasard ?) the last week-end, c'est Françoise qui nous parle à son tour d'un bouquin qu'elle avait beaucoup aimé, une histoire de pêcheurs dans le Maine et qui avait pour titre, ah ... Biscoe Bay ? ah ... Sisco Bay ? ah ...
Plus tard, internet aidant, ce sera Casco Bay de ... William G. Tapply !
Certes il y a une histoire policière et même quelques cadavres mais c'est avant tout une balade, même sanglante, à la campagne, au bord de mer, dans le Maine quoi.
Une histoire de pêcheurs à la mouche et chacun sait que pour attraper quelque chose il faut s'armer de patience et taquiner longtemps le poisson qui mordra, mordra pas, ...
Pourtant on ne s'ennuie pas un instant à suivre Stoney Calhoun, un amnésique (il a été frappé par la foudre) qui refait sa vie dans le Maine. Ancien militaire ? ancien flic ? qui est-il ? On ne le saura pas plus que lui-même.
[...] - Comment c'était Stoney ? - Je ne sais pas. Je ne me rappelle plus rien. J'ai bien des éclairs de conscience, quand j'entends le tonnerre ou la pluie, mais ils disparaissent si vite que je n'arrive pas à les épingler. Je ne sais pas ce que je faisais sur une montagne, je ne connais même pas celui qui m'a sauvé la vie. Je n'ai pas arrêter de poser la question aux médecins, mais ils ne savaient pas, ou ils ne voulaient pas me répondre. Il y a quelqu'un, quelque part, envers qui j'ai une sacrée dette.
Lui et son chien crapahutent dans les collines à la recherche, sinon du passé, au moins de quelques coins à truites.
On se promène donc à leur suite, aux côtés du shérif ou de la belle qui tient la boutique de pêche du coin.
Pour découvrir peu à peu, presque nonchalamment, sans trop y penser, la résurgence d'un drame du passé survenu lors du terrible incendie de 1947 qui avait ravagé cette belle région.
Un polar qui change du lot habituel : Stoney Calhoun ne supporte même plus l'alcool et boit du coca depuis son accident !
C'est plutôt sympa, même si parfois on a du mal à croire au héros si gentil et à la si belle héroïne.
Mais ne boudons pas notre plaisir : si l'islandais Arnaldur Indridason nous avait dissuadés à jamais d'aller en Islande, bien au contraire l'américain William G. Tapply semble nous inviter à passer nos prochaines vacances dans le Maine !
À suivre, puisqu'on a lu aussi le deuxième épisode : Casco Bay.

Pour celles et ceux qui aiment la pêche à la mouche. 
Gallmeister édite ces 268 pages traduites de l'américain par Camille Fort-Cantony. 
Michel nous l'a fait découvrir. D'autres avis sur Critiques Libres.

samedi 18 octobre 2008

Tête de chien (Morten Ramsland)

Saga nordique.

On avait déjà eu droit à une saga norvégienne avec Le demi-frère, de Lars Saabye Christensen.
Voici une autre saga familiale qui lui ressemble beaucoup.
Tête de chien, du danois (stop, j'évite les mauvais jeux de mots) Morten Ramsland.
Une famille de danois, mais de danois qui oscillent entre la Norvège et le Danemark.
La Norvège n'est pas le seul point commun avec Le demi-frère évoqué plus haut : on retrouve ici la peinture (il est d'ailleurs question de peinture) d'une famille haute en couleurs (décidément) avec par exemple le grand-père, magouilleur collabo puis rescapé des camps allemands, ingénieur naval, qui dessine des plans de bateaux d'inspiration ... cubiste, ce qui lui vaut quelques déboires professionnels.
Ou la grand-mère vieillissante qui se fait expédier des boîtes de conserves emplies de l'air de sa bonne ville de Bergen que la vie et le grand-père l'auront obligée à quitter trop vite.
À travers les années et l'histoire de l'arrière-grand-père, du grand-père, du père et du fils, toute la famille défile sous nos yeux. Avec ses personnages attachants et leurs histoires.
Car Morten Ramsland (qui a écrit également des livres pour la jeunesse) possède l'art de raconter les histoires.
[...] «Dieu est venu cette nuit, et Il a emporté tes chatons.»
Voilà ce qu'avait dit un jour Hans Carlo Petersen, le précédent patron de l'atelier d'encadrement, à sa fille Leila, alors âgée de six ans, en lui tapotant doucement la tête de cette même main qui, la veille au soir, avait mis les sept chatons dans un sac avant de les noyer dans le ruisseau derrière la maison. Leila, à qui son père venait d'offrir une grosse glace, sentit un goût amer se mêler à celui de la crème glacée. Cinq ans plus tard, lorsqu'il vint la chercher chez sa tante maternelle et la conduisit au bord du lac où il acheta la plus grosse glace du marchand, il déclara : «Dieu est venu cette nuit, et Il a emporté ta mère.» Par ces mots, il ne causa pas seulement un profond cha
grin à sa fille, mais il lui inspira une aversion durable à l'égard de Dieu et des sucreries.
Quel talent ! Tout est dit, l'air de rien.
L'art de raconter des histoires, mais pas n'importe lesquelles :
[...] Stinne et moi, nous n'avions plus envie d'entendre des histoires. Elles trainaient avec elles un je-ne-sais-quoi de douloureux et de mensonger. À cette époque, aucun de nous ne savait que ces histoires formaient le ciment qui liait notre famille, et c'est seulement quand elles ont disparu que tout a commencé à s'effriter, et que nous nous sommes dispersés aux quatre vents.
Des histoires de famille, des histoires qui touchent, qui touchent à tout au travers d'une galerie de personnages, tous profondément humains et tous plus pittoresques les uns que les autres.

Pour celles et ceux qui aiment les histoires de famille.
Gallimard édite ces 437 pages qui datent de 2005 en VO et qui sont traduites du danois par Alain Gnaedig.

dimanche 12 octobre 2008

Funérailles célestes (Xinran)

Deux chinoises au Tibet.

Nous avions déjà découvert Xinran, l'animatrice de radio chinoise, avec son excellent bouquin : Chinoises, qui mettait en scène quelques vies de quelques femmes de son pays.
Là revoici avec Funérailles célestes, une nouvelle histoire vraie, un nouveau destin de femme mis sur le papier.
L'histoire d'une chinoise bien sûr, Wen, médecin militaire, qui en 1958 part à la recherche de son jeune mari disparu au Tibet pendant la campagne de «pacification» engagée par l'Armée populaire de libération.
Wen «redescendra sur terre» ... quelques trente années plus tard !
Pendant trente ans elle se sera fondue au sein d'une famille nomade du Tibet qui l'a recueillie après qu'elle ait perdu ses camarades soldats.
Un destin peu commun que Xinran a eu l'occasion de saisir de la bouche même de Wen et qu'elle retranscrit ici sur le papier.
Cette écriture-là ne nous a pas semblé avoir tout à fait la même force que les témoignages recueillis dans Chinoises, mais l'intérêt bien sûr est d'y découvrir un peu le Tibet dont on a tant parlé cette année.
Le contexte politique est d'ailleurs évoqué avec doigté et mesure par Xinran.
Enfin, découvrir est un bien grand mot : avec Wen et les mots de Xinran on partage la vie de ces cavaliers des montagnes, fiers, pieux et sauvages.
Capables de la plus belle élévation d'âme comme du plus sombre obscurantisme religieux.
Mais au bout du compte (ou du conte), comme Xinran, chinoise étrangère au Tibet, on ne semble pas avoir vraiment compris la mentalité et la culture de ces nomades bouddhistes.
Beaucoup de choses nous échappent et ils gardent leur mystère, leur secret, leur attrait aussi.
Habitants d'une région impossible qu'ils comparent eux-mêmes à «un grand monastère».
À cet égard et pour rester dans la région, Le cercle du karma de la bhoutanaise Kunzang Choden nous avait semblé plus à même de nous faire approcher la surprenante culture bouddhiste de ces contrées.
On y retrouve d'ailleurs la même patience inépuisable (mais les mots nous manquent : constance, résignation, sérénité ?) qui veut que l'on puisse camper au bas d'un col pour y attendre le passage d'un frère, d'un ami, d'un voisin pendant trois jours, trois mois ou trois ans sans sourciller.
Comment notre civilisation pressée et urgente pourrait-elle appréhender ne serait-ce que le début d'un commencement d'un bout de cette culture millénaire ?
Il reste que l'histoire de Wen est celle d'un destin extraordinaire qui mérite le voyage pendant quelques pages sur les traces de cette chinoise qui se sera perdue sur le toit du monde (mais trouvée aussi, on s'en doute) alors que, pendant ces trente années, la Chine s'éveillait douloureusement à travers les horreurs de la Révolution Culturelle.
Quant aux funérailles célestes (qui nous valent les plus belles pages), il s'agit bien sûr de cette étrange coutume tibétaine qui veut qu'on démembre les morts et les offre en pâture aux aigles et vautours.
Une tradition presque aussi choquante que celle de ces peuplades occidentales qui enferment les morts dans un coffre en bois et les laissent pourrir dans la terre humide.

Pour celles et ceux qui aiment les montagnes.
Piciquier édite ces 182 pages qui datent de 2004 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Maïa Bhârathî.
Vaovan, Kattel et Émeraude en parlent. D'autres avis sur Critiques Libres.

mercredi 8 octobre 2008

BD : RG

Edvige, souriez ma chère, vous êtes fichée.

Au rayon BD, ce n'est pas Hergé mais RG.
Deux tomes sont parus : Riyad sur Seine et Bangkok-Belleville.
Tout un programme. Celui des RG, les Renseignements Généraux bien sûr.
C'est pas exactement un corps constitué qu'on porte vraiment dans notre cœur (doivent bien avoir une vieille photo avec nos cheveux longs dans leurs fichiers ...) mais c'est quand même une excellente BD, reconnaissons-le.
On y retrouve un peu du Tueur qu'on avait déjà encensé ici.
Un scénario bien mis en valeur, un vrai texte étoffé (avec comme dans Le Tueur, pas mal de voix off ou intérieure), un dessin résolument moderne.

[...] J'obtiens le numéro du passeport du costard gris ... citoyen américain ... sans blague ! vraiment un gros coup de cul !
"Reste planqué ... je file à Roissy ... et fais moi une sortie de la photo de ce mec !"
Une heure plus tard ... aéroport de Roissy Charles de Gaulle
Dans ce boulot tout dépend de l'information. Et l'information c'est une question de contacts.
En la matière, je ne crois pas au chantage ou à la manipulation, c'est inefficace. Je laisse ça aux politiques.
Je suis partisan du mot doux et de la boîte de chocolats.

On ne se refait pas et même si on sait apprécier les BD sans bulles, on aime bien les BD à textes.
Comble de l'ironie (ou du marketing, mais ça fait rien l'idée est bonne), la série serait née de la rencontre «obligée» entre un vrai RG et les dessinateurs qui gravitaient autour de Charlie Hebdo lors de l'affaire des caricatures de qui vous savez !
Car derrière le pseudo de l'un des deux auteurs se cache un vrai RG dans la vraie vie. Un qui se met en scène lui-même : les planques, les filatures, les descentes de police, la paperasse aussi, ...
Sans trop de concessions, on joue pas au héros, juste au vrai flic.
Et puis les méchants sont pas de chez nous : rien que des étrangers politiquement incorrects, comme l'indiquent les titres des deux épisodes.
Ce qui nous vaut deux albums qui se dévorent en quelques minutes comme une série TV (et pour une fois c'est pas péjoratif).
Sous des apparences brouillonnes mais trompeuses, le dessin est vivant, toujours en mouvement, assez cinoche et on boucle donc avec le polar télé. Une planche ici.
De la bel ouvrage, bref, deux albums (le troisième est en préparation) qui valent le détour.


Pour celles et ceux qui aiment les séries policières.