samedi 28 juin 2008

Un ciel de glace (Mirko Bonné)

Les saints de glace.

Même si Mirko Bonné est allemand, ce bouquin n'est pas vraiment “nordique”.
Y'a même pas plus “sudiste” puisque Un ciel de glace nous raconte l'expédition Shackleton ... en Antarctique !
Mais là-bas tout en bas la température est la même qu'en haut !
En 1914, alors que la Guerre commence à se propager partout (la Marine allemande croise au large des Malouines), Sir Ernest Shackleton recrute son équipage pour sa troisième expédition au Pôle Sud, toujours vierge.

[...] Avis - Recherche hommes pour traversée hasardeuse. Paie médiocre. Froid glacial. Longs mois dans l'obscurité totale. Dangers constants. Retour sain et sauf peu probable. Récompense et .+en cas de succès - Ernest Shackleton.

Avec quelques libertés romanesques, Mirko Bonné met en scène un moussaillon embarqué clandestinement à bord de l'Endurance pour nous raconter l'histoire de cette aventure, à l'époque où britanniques (Scott, ...) et norvégiens (Admundsen, ...) faisaient la course au Pôle Sud : les saints des glaces.
Les 3 ou 4 expéditions de Sir Ernest Shackleton (celle de l'Endurance, celle du bouquin, est la seconde mais il a également participé à l'expédition de Scott auparavant) sont des échecs. De véritables fiascos.
Leur bateau, l'Endurance se retrouve prisonnier des icebergs et se retrouve vite écrasé par les glaces. L'hiver austral, la nuit australe, s'annoncent.

[...] Celui qui traverse une nuit longue de plusieurs mois vit quelque chose de totalement absurde. [...] Car je vois de mes propres yeux la nuit polaire faire peu à peu de nous des fantômes.

Tenaillée par la faim et à court de vivres, la petite trentaine d'hommes de l'équipage finira par manger ses propres chiens de traineaux.

[...] Rien ou presque n'a autant d'importance pour l'équipage que la nourriture. Uzbird pense que c'est parce qu'elle seule fournit un substitut plus ou moins valable à l'activité sexuelle. Cela mérite réflexion. Le fait est que l'inventivité du cuisinier lui assure la reconnaissance générale à bord. Les hommes vénèrent ainsi Green parce qu'il réussit à donner aux petits pois un léger arôme de menthe. je sais quant à moi que, pour les petits pois, il ajoute dans la casserole une giclée de dentifrice.
[...] Lorsqu'on distribue la nourriture pendant les longues semaines dans les glaces, chacun doit fermer les yeux à tour de rôle, et il reçoit une assiette pleine. Sans savoir quelle quantité se trouve sur l'assiette, il doit désigner celui qui va manger la portion en question.

Malgré de longs mois prisonniers des glaces, ils ne mettront jamais les pieds sur le continent Antarctique et très vite l'objectif de Shackleton vire en une autre obsession : ramener ses hommes sains et saufs.

[...] Voici ce qui me tient à cœur : ce voyage est marqué par une profonde étrangeté. Parce qu'il n'aurait jamais dû avoir lieu, parce que tout ce qui pouvait aller de travers est allé de travers, parce que tous nos doutes ont été justifiés par la suite, j'ai l'impression que nous ne sommes pas en train de naviguer sur l'océan Antarctique, mais que nous avons disparu de la surface de la terre.
[...] Notre but commun, la survie, a bel et bien fini par nous diviser et nous éloigner les uns des autres. Et même si la plupart ne s'en rendent sans doute pas compte, Shackleton gaspille une bonne partie de ses forces et de sa résistance pour maintenir malgré tout notre bonne humeur.

Plus qu'un récit d'aventure ou de voyage, c'est avant tout l'histoire de cette poignée d'hommes qui, pendant de longs mois, auront réchappé de ces espaces gigantesques dans une promiscuité rarement vécue.


Pour celles et ceux qui aiment la neige et la glace.
Rivages (c'était prédestiné !) édite ces 427 pages traduites de l'allemand par Juliette Aubert.

mardi 24 juin 2008

Dur, dur (Banana Yoshimoto)

Quand jeunesse se passe.

On avait déjà évoqué ici Banana Yoshimoto avec son premier succès : Kitchen, écrit à l'âge de 23 ans.
Dur, dur, est un recueil de deux nouvelles, écrites 12 ans plus tard (et l'écriture a visiblement gagné en maîtrise).
Mais si les années ont passé, les préoccupations sont toujours les mêmes : le passage à l'âge « adulte », la perte de l'être aimé (l'amie, la sœur, ...) et le traumatisme laissé par la mort.
Et au passage, quelques fantômes qui hantent la nuit, les souvenirs et les digressions.
[...] Chaque fois que je me rappelais le temps où ma sœur parlait encore, j'avais l'impression qu'une membrane venait m'envelopper. Elle parlait beaucoup, d'une voix fluette au timbre aigu. Quand on était enfants, l'une de nous deux s'arrangeait toujours pour émigrer avec son futon dans la chambre de l'autre, et on bavardait jusqu'à l'aube. On se jurait que plus tard on habiterait, elle ou moi, une maison avec lucarne. Ainsi on pourrait continuer nos bavardages en contemplant les étoiles au ciel. C'était une jolie promesse. Dans notre rêve, la vitre de la lucarne miroitait d'un éclat noir, les étoiles scintillaient comme des diamants, l'air était d'une grande pureté. Et les deux sœurs parlaient indéfiniment, sans se lasser, sans même imaginer que le matin allait revenir.
Avec un petit coup de cœur nostalgique pour la première nouvelle qui se déroule dans un hôtel de montagne : une de ces auberges nippones où l'on va jusqu'au onsen (le bain d'eau chaude thermale) en yukata ... (nos photos ici).
Moins « tokyoïte » que Kitchen, toujours aussi féminin.

Pour celles et ceux qui aiment la douceur mélancolique d'un bain chaud.
Rivages poche édite ces 129 pages traduites du japonais par Dominique Palmé et Kyôko Satô.
Noir & Bleu, InFolio, Hydromielle, en parlent et d'autres sur Critiques Libres.

jeudi 12 juin 2008

Le maître a de plus en plus d’humour (Mo Yan)

Chambre avec vue.

Voilà un étrange petit conte chinois, presqu'une nouvelle.
Une histoire résolument contemporaine, écrite en 1999, ancrée dans la réalité sociale de la Chine d'aujourd'hui : Le maître a de plus en plus d'humour, de Mo Yan.
À l'approche de la retraite, Ding Shikou, ouvrier modèle (et en Chine c'est quelque chose !), se retrouve licencié : « descendu de son poste » en VO.
Avisant un vieil autobus abandonné derrière le cimetière, il entreprend de le réhabiliter et de louer discrètement cette « chambre » pour quelques heures aux couples qui en ont besoin ...

[...] « Maître, lui dit Xiaohu, pourquoi toutes ces embrouilles ? Est-ce que, s'il n'y avait pas votre petite chambre ils s'abstiendraient de faire ce qu'ils font ? Sans elle, ils le feraient, ils le feraient au milieu des arbres, au milieu des tombes, les jeunes de maintenant préconisent le retour à la nature et c'est la mode faire ça dehors, et bien sûr ce n'est pas nous qui diront qu'ils ont tort, c'est humain. Je vous le dis depuis longtemps, faites comme si vous aviez simplement ouvert des W.-C. publics en pleine nature, que vous récoltiez un peu d'argent, c'est l'ordre naturel des choses, la raison est de votre coté. »

Un humour plein de tendresse et de facétie, un peu décalé (effet sans doute accentué par la traduction).


Pour celles et ceux qui aiment l'humour so british, oops pardon : so chinese.
Points édite ces 108 pages traduites du chinois par les étudiants de l'Université de Provence et Liliane Dutrait.
Noir & Bleu, Emereaude, Fashion, en parlent et d'autres sur Critiques Libres.

dimanche 8 juin 2008

Pendant qu’il te regarde … (Gudrùn Eva Minervudòttir)

Exotisme nordique.

Ce bouquin remporte dès la couverture deux palmes d'or : le titre et le patronyme les plus longs.
Le titre : Pendant qu'il te regarde, tu es la Vierge Marie, "Á meðan hann horfir á þig ertu María mey" en VO.
L'auteure : Gudrùn Eva Minervudòttir, une islandaise ça coule de source (chaude).
Les longueurs s'arrêtent là, car bien au contraire, le bouquin est fait de nouvelles, de très courtes nouvelles.
On va souvent chercher l'exotisme en orient, en extrême-orient même, ce blog en est témoin.
Il n'est pas besoin d'aller si loin. L'Islande recèle bien des mystères.
Des mystères policiers et criminels comme ceux découverts avec Arnaldur Indridason.
Des mystères humains comme ceux mis en scène par la jeune Gudrùn Eva Minervudòttir.
Quelques courtes nouvelles (à peine quelques pages parfois) parsemées d'un grain de folie et mettant en scène tantôt la solitude des êtres (des femmes souvent), tantôt des rencontres incertaines dont on ne sait trop ce qu'elles vont donner.

[...] Je t'ai essuyée, d'abord tout le corps, et puis les cheveux en frottant vite et fort parce que c'est comme ça qu'on fait sécher les cheveux.

Une écriture fluide et agréable mais pleine d'étrangeté, qui saisit les êtres dans des instants improbables.
Sans doute le bouquin le plus «japonais» qu'on ait lu en dehors du pays du soleil levant.
On regrette cependant que ces nouvelles trop courtes ne laissent finalement qu'une fugitive impression.


Zulma édite ces 146 pages traduites de l'islandais par Catherine Eyjòlfsson.
Pour celles et ceux qui aiment leurs prochains.
Cathulu en parle.