lundi 10 novembre 2008

BD : Le photographe

Carnets de voyage.

C'est encore Frédéric Féjard qui nous l'a prêté après qu'on ait déjà manqué plusieurs occasions de découvrir cette BD parue pourtant depuis 2003.
Voici donc Le photographe, le récit autobiographique de Didier Lefèvre, photo-reporter, qui accompagne une mission de MSF en Afghanistan.
Une BD qui partage plusieurs points communs avec Maus ou Le Piège dont on vient de parler récemment :
- toutes les trois racontent des histoires vraies, en prise directe sur la guerre ou les évènements historiques (le nazisme pour Maus, le franquisme pour Le Piège et l'Afghanistan sous l'occupation russe pour Le photographe)
- toutes les trois présentent des idées graphiques originales (le noir et blanc sous deux formes très différentes pour Maus et Le Piège, et bien sûr la photo pour Le Photographe).
En l'occurrence, ce Photographe offre un mélange très heureux de dessins (d'Emmanuel Guibert, on dirait parfois du Tintin) et des photos de Didier Lefèvre : une planche ici.
En 1986, peu de temps avant que les Russes abandonnent le terrain et bien avant que les talibans reprennent le contrôle du pays, Didier Lefèvre accompagne une mission de MSF qui part du Pakistan pour monter des hôpitaux de fortune dans les montagnes afghanes. Accompagnés de moudjahidines, ils rejoignent des vallées proches du Panjshir, tenues par les partisans du commandant Massoud. Ce contexte politique est à peine effleuré dans la BD : Didier Lefèvre raconte d'abord son voyage.
Son voyage aux côtés de l'équipe de MSF, avec un recul propre à tous les photographes : il raconte, les faits, les images, les photos, les dessins, sans donner de leçon, ni de politique ni de quoi que ce soit. Il ne joue pas au héros (en clair, le petit parisien va en baver dans ces montagnes) et laisse tout juste transparaitre son admiration pour le boulot des toubibs de MSF.
En fait, il décrit tout simplement «les gens». Les gens de là-bas, qu'il s'agisse des médecins de MSF ou des moudjahidines qui les accompagnent ou qu'ils soignent.
Du coup, on se passionne facilement pour cette aventure. Le premier tome raconte le départ depuis Peshavar et le voyage dans les montagnes, avec le franchissement de plusieurs cols à 5000 mètres. Le second volume décrit le séjour dans le village de montagne et la mise en place de l'hôpital de fortune. Jusqu'au retour raconté dans le dernier tome.
C'est passionnant, facile et agréable à lire et on y apprend beaucoup de choses : sur les afghans bien sûr mais aussi sur le travail humanitaire.
[...] - L'ennemi c'est l'hélicoptère.
Les avions sont redoutables mais ils passent et, le temps qu'ils reviennent, tu peux éventuellement te cacher.
Alors que l'hélicoptère, il survole, il s'arrête, il reste en vol stationnaire, il te cherche, il te traque, c'est horrible.
Si tu es dans un endroit où il est difficile de se cacher, tu te jettes sous ton patou. Le patou c'est la couverture des afghans.
- Oui je sais, j'en ai une, marron.
- Couleur de la terre.
Tu ne bouges plus et surtout, tu fais en sorte que rien ne dépasse.
Tu serres les poings avec le pouce à l'intérieur, comme ça. Tu sais pourquoi ?
- Non.
- Parce que l'hélicoptère repère tout ce qui brille. Même un ongle.

La guerre et les russes seront à peine évoqués dans ce voyage : un hélicoptère parfois au loin, quelques boums boums de temps à autre. Par contre, de nombreux blessés affluent à l'hôpital pour bénéficier des soins des toubibs de MSF.
Un récit de voyage intelligent.

Pour celles et ceux qui aiment les récits de voyage.
Dupuis édite ces 3 tomes dans la collection Air Libre.
Lo en parle.

mardi 4 novembre 2008

BD : Les rêves de Milton

Grand déprime.

Frédéric Féjard, un collègue, n'est pas étranger à la vague de bulles qui envahit ce blog cet automne ...
Il est donc juste qu'on lui rende ce qui lui appartient (outre les albums qu'il nous a prêtés !), à savoir le scénario des Rêves de Milton aux côtés de Ricard. Et de Maël aux pinceaux.
Ces Rêves de Milton étaient quelque peu prémonitoires puisque, parus en 2005/2006 trois ans avant la crise financière mondiale, ils nous replongent en 1929 lors de la Grande Dépression qui jeta tant d'américains sur les routes.
À commencer par la famille Cry aux nombreux enfants dont le grand simplet Milton et le petit hargneux Billy.
Le petit teigneux à la haine. Le grand benêt fait des rêves étranges. Des rêves qui semblent se réaliser au fur et à mesure que les vilains disparaissent le long de la route.
Ces deux tomes nous content une très belle histoire. Une histoire de haine et de violence (c'était l'époque des souris et des hommes) mais aussi une histoire d'amour-haine fraternel.
Une triste et belle histoire servie par de magnifiques dessins à l'aquarelle comme ici et .
Poussée sur les routes par la crise (et donc par la méchanceté et la bêtise humaine), l'humanité semble se diluer dans les pinceaux de Maël comme dans la pluie, la boue ou la misère. Jusqu'à ce que seules la violence et la haine subsistent.
Le seul trait d'humour ou de légèreté de cette sombre BD viendra avec deux agents fédéraux (obligés de reprendre l'enquête devant l'incapacité de la police locale !) préfigurant ainsi les Dupont et Dupond du FBI !


Pour celles et ceux qui aiment les épisodes historiques.
Dupuis édite ces 2 tomes dans la collection Air Libre.
Krinein en parle.

samedi 1 novembre 2008

BD : Le piège

Devoir de mémoire.

Décidément, la période est propice aux découvertes BD.
Après le très dérangeant Maus, voici un autre devoir de mémoire : Le Piège.
Les points communs avec Maus sont multiples : deux albums en noir et blanc, deux périodes sombres qui ressurgissent du passé. Le nazisme des camps de juifs pour Maus et le franquisme espagnol pour Le Piège.
Et dans les deux histoires, des portraits de «héros» en demi-teinte ni tout à fait noir, ni tout à fait blanc. Étonnant parallèle.
Ce qui frappe en premier lieu dans Le Piège, ce sont les dessins en noir et blanc, en noir surtout avec de grands aplats très graphiques. Certains dessins sont de véritables prouesses.
Avec en prime, une idée astucieuse : le scénario du Piège met en scène ... un dessinateur de BD et on a donc bien sûr droit à "la BD dans la BD". Le héros prépare un épisode des aventures d'un super-héros en prise avec un affreux méchant. Les dessins de cette nouvelle BD s'intercalent dans la BD elle-même. Les dessins de la BD en création sont clairs et naïfs, les dessins de la vraie vie sont noirs et oppressants.
Peu à peu, au fil des pages, les deux histoires se rapprochent ou se répondent ...
Une planche pour vous ici et d'autres sur le site de l'éditeur.
L'autre versant du Piège , c'est bien sûr le franquisme.
Les années de l'après-guerre, de cette dictature policière que l'Espagne a tenté d'oublier en refermant le couvercle sur cette sombre période.
Plusieurs épisodes sont évoqués dans Le Piège comme les camps de réfugiés en France ou encore le rapatriement d'un train de grandes oeuvres de peinture qui avaient été mises à l'abri en Suisse pendant la guerre.
Un album sombre et oppressant, comme ses dessins, que l'on doit à Felipe H. Calva (scénario) et Federico del Barrio (dessins).

Pour celles et ceux qui aiment garder les yeux ouverts, même dans le noir. 
Actes Sud l'An 2 édite ces 64 pages traduites de l'espagnol par Benoit Mitaine. 
Télérama en parle, Herwann aussi.