lundi 28 avril 2008

Fleur de nuit (Shani Mootoo)

Moiteur tropicale.

Pioché dans le bac d'un bouquiniste du quartier Saint-Michel, voici un étrange bouquin : Fleur de nuit de Shani Mootoo, une indienne qui s'est établie au Canada après avoir vécu à Trinidad.
Fleur de nuit (Cereus blooms at night en VO - le cereus est un cactus tropical qui fleurit la nuit) met en scène des immigrés indiens dans une île des Caraïbes.
Sous la plume expressive de Shani Mootoo, ce roman nous distille un parfum étrange et une puissante ambiance.
Avec une histoire forte déjà, celle d'une drôle de famille : la mère est partie avec une amie, le père se console avec l'une des deux filles, Mala.
Elle finit à l'asile auprès d'un infirmier efféminé qui s'amourache du fils de l'ami d'enfance de Mala ... le ton est donné !

[...] ... une femme que son père avait manifestement confondue avec son épouse et dont la propre mère avait manifestement confondu une autre femme avec son époux ...

Traumatisée par tous ces secrets de famille, Mala se réfugie dans la connaissance des secrets de la nature, à moitié fofolle, à moitié sorcière selon les ragots du village.

[...] Si tu protèges un escargot vivant, à sa mort il se souviendra de toi. [...] Après sa mort, son âme, qui est invisible, veut retrouver sa vieille maison. [...] Attends de trouver des coquilles qui se sont vidées naturellement, mon chou. Ensuite, voilà ce que tu fais : tu les alignes pour que les âmes flottantes des escargots qui les occupaient autrefois puissent les repérer facilement. [...] Alors toi, [...] et tous ceux que tu aimes bénéficierez de la protection des forces bienveillantes de l'univers.

L'an passé on avait découvert avec la suédoise Kerstin Ekman, un roman habité par la physique des corps.
À l'opposé géographique, celui de Shani Mootoo est peuplé des parfums, des odeurs et des senteurs de la nature tropicale.
Une nature envahissante, souvent pourrissante puisque la vie se nourrit de la mort.

[...] Quelques pas plus loin, une autre odeur indéfinissable l'assaillit. Chaque bouffée apportée par la brise qui soufflait entre les pilotis le faisait hoqueter. On aurait dit l'épaisse puanteur des latrines débordantes. [...] Dans les rêves où il rencontrait Mala, il respirait des parfums d'herbes, de pots-pourris et de baumes, bref aucune odeur aussi oppressante que celle qui le suffoquait à présent.

Le premier chapitre voit la vieille Mala arriver à l'asile et tout le roman, habilement construit, nous ramène sur les traces de son effroyable passé.

[...] Seigneur ! Par où commencer ? Même les débuts ont leur propre début. C'est une rude tâche.

Car dans la maison de la vieille folle on n'a pas retrouvé que des coquilles vides d'escargots ...


10/18 édite en poche ces 283 pages traduites de l'anglais par Lisa Rosenbaum.
Pour celles et ceux qui aiment la touffeur des serres tropicales.

mercredi 23 avril 2008

Les belles endormies (Yasunari Kawabata)

Éros et Thanatos.

On a déjà eu l'occasion de croiser ici Yasunari Kawabata, l'un des deux prix Nobel nippons de littérature (rien que ça), avec l'excellent Pays de neige.
Revoici cette belle écriture venue d'extrême-orient avec Les belles endormies.
Moins accessibles que le Pays de neige, encore plus japonaises, Ces belles endormies nous proposent une bien étrange visite.
Celle d'une maison de «passe». Une maison où l'on «passe» la nuit aux côtés d'une belle.
Aux côtés d'une belle endormie.
Une maison où quelques vieillards avisés, mais plus tout à fait en mesure d'honorer une belle (des «vieillards de tout repos» !), passent une nuit paisible auprès d'une belle, endormie artificiellement.
[...] Et pourtant, pouvait-il exister chose plus horrible qu'un vieillard qui se disposait à coucher une nuit entière aux côtés d'une fille que l'on avait endormie pour tout ce temps et qui n'ouvrait pas l'oeil ?
Comble de l'horreur ou comble du bonheur ?
[...] ... le vieux Kiga, celui qui avait introduit Eguchi, avait dit que c'était comme si «l'on couchait avec un Bouddha caché».
Un bien étrange rituel, très loin de nos fantasmes occidentaux, très proche du shinjû, le double suicide amoureux de l'imaginaire nippon. Car du sommeil tout court au sommeil éternel, il n'y a qu'un pas. Un pas de deux.
En contrepoint des rêveries d'Eguchi, le client que nous suivons au fil des nuits, on savoure les réparties sans réplique de la maîtresse des lieux qui tient sa maison d'une main ferme  :
[...] - De nos clients, aucun ne fait jamais rien. Nous ne recevons que des clients de tout repos.
Ou encore, le lendemain matin :
[...] - Ne pourriez-vous me permettre de rester ici jusqu'à son réveil ? 
- Ça ! cela ne peut se faire ici ! dit la femme d'un ton un peu plus précipité. Même nos clients les plus fidèles ne font pas cela.
Et après une autre nuit :
[...] - J'aurais voulu avoir de la même drogue que la fille. J'avais envie de dormir d'un sommeil pareil au sien. 
- Ça, c'est interdit ! Et d'abord, ce serait dangereux à votre âge ! 
- J'ai le coeur solide rassurez-vous ! Et si par hasard, je m'étais endormi pour l'éternité, ce n'est pas moi qui m'en serais plaint !
Oui, car au-delà de la fascination pour les corps délicats de ces jeunesses endormies, Eguchi le vieillard, est tout autant obsédé par leur sommeil que rien ne vient réveiller. Un sommeil que l'on pourrait croire éternel.
Un sommeil qui sera bientôt le sien, vu son âge avancé.
Dix ans après avoir écrit Les belles endormies, Kawabata se suicidera, un an après le seppuku de son ami Mishima.
Voir aussi Le grondement de la montagne.

Le Livre de Poche édite ces 124 pages traduites du japonais par René Sieffert. 
Pour celles et ceux qui aiment la jeunesse. 
Vaovan en parle (qu'on a découvert grâce à LsF), Jeanne (Nuages et vent) aussi. 
D'autres avis sur Critiques Libres.

jeudi 17 avril 2008

Une simple chute (Michèle Lesbre)

Faux polar mais vrai roman.

On s'était à peine relevé du Canapé rouge, roman enchanteur, que l'on découvre à nouveau le nom de Michèle Lesbre sur d'autres bouquins de poche au rayon ... polars de la Fnac !
Étrange coïncidence (sans doute dûe au succès du Canapé qui permet de rééditer les bouquins de la dame en poche).
Alors que fait donc Une simple chute au rayon polars ?
Ah oui, dans les dernières pages il y a bien la police qui débarque chez le héros, après un crime peut-être, peut-être ...
Les polars ne sont pas d'un genre mineur (loin de nous cette affreuse pensée !), mais, lecteurs peu curieux, ne vous laisser pas rebuter par cette étiquette sous peine de passer à côté de ce qui sera peut-être bien l'auteure de l'année (enfin, découverte cette année).
Inversement les amateurs de polars pourront ainsi apprécier une très très belle plume.
Mais reprenons la transition avec Le canapé rouge, puisque cette autre histoire, cette autre rencontre, se passe à nouveau ... dans un train !
Certes on ne voyage pas si loin cette fois, puisqu'il s'agit d'un train de province bien de chez nous.
Le voyage en train, parenthèse dans la vie, est décidément un prétexte à de singulières rencontres.
Ici le héros prêtera l'oreille à une étrange dame qui semble bien partie pour lui raconter sa vie.
Ulysse qui écoute le chant d'une sirène ... et comme chacun sait (sauf notre héros) il ne faut pas écouter la sirène ...
[...] J'ai failli la prendre dans mes bras, mas j'avais peur qu'elle ne comprenne pas pourquoi. L'émotion me rend toujours maladroit.
Elle avait tué un homme. J'avais beau me répéter ces mots, je ne parvenais pas à leur donner autant d'importance qu'il aurait fallu.
Cela ne changeait rien, j'avais envie de la connaître d'avantage. Je ne m'étais jamais senti aussi proche de quelqu'un, aussi complice.
Roman à suspense donc (plutôt que véritable polar, il n'y a pas d'enquête) que l'on dévore parce qu'on est curieux, parce que, bien confortablement assis dans notre canapé (rouge ou pas), on peut écouter sans danger le chant de la sirène ...
L'écriture de Michèle Lesbre fait le reste.
Tout en douceurs, en confidences, rare moment.
Ce bouquin (en format poche) est peut-être plus facile d'accès que Le canapé rouge et offre une belle porte d'entrée dans l'univers de cette auteure.

Pour celles et ceux qui aiment (encore) voyager en train.

mardi 15 avril 2008

Fahrenheit 451 (Ray Bradbury)

Au feu les pompiers !

Notre teenageuse maison est à l'âge de découvrir la Fantasy et la SF, et c'est l'occasion pour nous de redécouvrir le classique de Ray Bradbury : Fahrenheit 451.
Un roman qui, ma foi, a plutôt bien vieilli, empreint de philosophie plutôt que d'anticipation technologique.
Cela ne l'empêche pas d'épingler quelques travers de notre temps comme la télé-réalité ou les oreillettes qui nous évitent d'avoir à écouter nos voisins.
Ou encore la sur-information :
[...] Bourrez les gens de données incombustibles, gorgez-les de «faits», qu'ils se sentent gavés, mais absolument «brillants» côté information. Ils auront l'impression de penser, ils auront le sentiment du mouvement tout en faisant du sur-place.

Mais Bradbury a écrit cette histoire en 1953 pendant les sombres années de la Guerre Froide à la grande époque du maccarthisme, des listes noires et de la chasse aux sorcières, à un moment où le fracas des bombes de la guerre résonnait encore.
Il nous décrit un monde où les bombardiers survolent les villes en rugissant pendant que les pompiers recyclés brûlent les livres et pourchassent les rêveurs.
[...] - Qu'est-ce qui s'est passé ?
- On a brûlé un millier de livres. On a brûlé une femme.
- Et alors ?
...
- Tu n'étais pas là, tu ne l'as pas
vue. Il doit y avoir quelque chose dans les livres, des choses que nous ne pouvons pas imaginer, pour amener une femme à rester dans une maison en flammes; oui, il doit y avoir quelque chose. On n'agit pas comme ça pour rien.
L'occasion de rappeler une nouvelle fois (après notre billet sur Balzac et la petite tailleuse chinoise) une belle phrase qui date de 1820, celle du poète allemand Heinrich Heine (qui serait resté méconnu si les national-socialistes allemands, fervents adeptes des autodafés, ne s'en étaient pris à ces bouquins plus de cent ans après) :
Là où l’on brûle les livres, on finit par brûler les hommes.
Le bouquin de Bradbury se termine en apocalypse, seule façon semble-t-il de détruire tout ce qu'il y a de mauvais avant qu'une humanité meilleure ne renaisse de ses cendres.
Une note sombre qui résonnait différemment dans les années 60 puisqu'aujourd'hui le spectre de l'apocalypse nucléaire s'est éloigné avec le réchauffement de la planète et la fin de la guerre froide.
D'autres peurs, biologiques ou terroristes, sont venus changer notre perception de la fin de notre monde.


Pour celles et ceux qui aiment les livres.
D'autres avis sur Critiques Libres. Valeriane en parle aussi.

vendredi 11 avril 2008

Le canapé rouge (Michèle Lesbre)

Transsibérien.

Après notre voyage en Asie de l'été 2006 on ne pouvait bien évidemment pas laisser passer cette histoire qui met en scène le transsibérien.
Avec Le canapé rouge, Michèle Lesbre nous conte l'histoire d'une femme qui se met en quête d'un amour perdu ... à Irkoustk en pleine Sibérie, au bord du lac Baïkal et du fleuve Angara (nos photos sont ici !).
Cette quête, c'est celle du désir des choses perdues : un amour qui s'en est allé, un idéal (politique) qui ne s'est pas réalisé, un enfant qu'on n'a pas eu, ...
Comme tous les voyages, ce n'est pas tant la distance parcourue qui compte que le cheminement de l'esprit (le plus grand voyageur est celui qui a su faire une fois le tour de lui-même, disait Confucius) et Michèle Lesbre sait bien rendre cela.
Le voyage en train est comme une vie suspendue, une parenthèse, on s'en va mais c'est pour être plus proche de ce qu'on croit avoir laissé.
[...] Je terminais un voyage dont je rêvais depuis longtemps, un train qui n'en finirait pas de m'emmener toujours plus loin, jusqu'à ce lac qui me paraissait inaccessible, juste une légende, un mythe.
On partageait pas mal de points communs avec Michèle Lesbre à commencer par la fascination de cette Sibérie et de son train, depuis Michel Strogoff sans doute.
Les chapitres alternent entre la vaine quête de l'héroïne arrivée sur les rives du lac Baïkal (à ce stade elle ne croit même plus trop à ce qu'elle était venue plus ou moins chercher sans grande conviction) et les souvenirs des conversations avec une vieille dame laissée à Paris sur son canapé rouge.
Toutes les deux se souviennent d'un amour perdu.
Toutes les deux ont attendu trop longtemps que "leur vie commence enfin", comme des petites filles qui auraient oublié de grandir. Beaucoup trop longtemps.
[...] C'est peut-être parce qu'il est mort que je continue à attendre que la vie commence, je crois que je l'ai toujours attendue cette vie-là, je veux dire la vie avec lui. L'autre, celle que j'ai vécue, c'était autre chose, c'était en attendant... Maintenant je suis une très vieille petite fille. Vous il me semble que vous avez grandi, je me trompe ?
Une très très belle écriture que celle de Michèle Lesbre.  Sans esbroufe, intime, pleine de sens et d'émotion.
Une prose qui vaut vraiment le détour, même par la lointaine Irkoustk (qui était surnommée d'ailleurs, le petit Paris de la Sibérie ! Le canapé rouge n'est peut-être donc pas si loin même si Irkoutsk est plus proche de Pékin que de Paris).
Une auteure à ne pas manquer, un bouquin vraiment excellent qui mérite de monter sur le podium 2008 si ce n'est ... que nous avons, depuis, lu un autre roman de Michèle Lesbre qui nous a paru tout aussi bon !

Pour celles et ceux qui voudraient poursuivre la traversée de l'Asie en train : La Chine à petite vapeur de Paul Théroux.

Pour celles et ceux qui aiment voyager en train.
Les billets de Chimère, Papillon, Lily, Bellesahi, et surtout Sylvie qui y a vu (et bien vu !) beaucoup d'eau ...
D'autres avis sur Critiques Libres.

lundi 7 avril 2008

L'homme du lac (Arnaldur Indridason)

La vie des autres.

Les avis étaient unanimes sur les blogs ici ou , mais on a essayé de résister un peu, beaucoup, ... pas du tout, à l'achat compulsif du dernier Arnaldur Indridason.
  On avait déjà lu tous les précédents opus, déjà tous excellentissimes, mais un de plus, ça pouvait attendre, un peu, beaucoup, ... pas du tout.
Finalement, valait mieux pas tergiverser : c'est trop bien.
Il suffit à Indridason de quelques pages, d'un seul chapitre pour vous emporter loin d'ici.
Un premier chapitre tellement bon qu'on vous le propose en version intégrale ici-même.
Alors nous voici donc embarqués de nouveau pour la lointaine et exotique Islande aux côtés de l'impossible inspecteur Erlendur, celui qui vit sur une île où la nuit dure 6 mois ...
[...] Erlendur était plongé dans sa lecture quand le téléphone sonna. Il essayait de se protéger de la clarté du soleil de mai, fidèle à son habitude. Les épais rideaux étaient tirés devant les fenêtres de son salon, il avait fermé la porte de la cuisine où il n'y avaient pas de rideaux dignes de ce nom. Il parvenait ainsi à maintenir une obscurité suffisante pour se permettre d'allumer la lampe placée à côté de son fauteuil.
Erlendur toujours obsédé par les disparitions, depuis celle de son jeune frère lors d'une randonnée tragique dans les mystérieuses montagnes islandaises.
[...]  ... cette affaire n'a donné lieu à aucune enquête criminelle. On n'en mène généralement pas sur les disparitions parce que en Islande, on ne voit rien d'étonnant à ce que les gens disparaissent. Peut-être à cause du climat capricieux. Peut-être par paresse.
Car il s'agit de nouveau d'une disparition.
Ou plus exactement d'une ré-apparition : celle d'un squelette qui dormait au fond d'un lac depuis 60 ans et qui refait surface.
 Et avec lui tout un pan de l'Histoire : celle de la guerre froide, quand les jeunes étudiants islandais aux idéaux socialistes partaient étudier en RDA et, une fois passé le rideau de fer, découvraient le communisme ... et la Stasi. La vie des autres, quoi.
Une alternance de chapitres entre la lente et laborieuse enquête d'Erlendur et ses acolytes autour du squelette remonté du lac ficelé à un vieux poste radio et ce qui s'est passé à Leipzig en ce temps là, au temps où la Stasi régnait sur les consciences.
Car ce qui intéresse Indridason ce n'est jamais le côté criminel du polar, ce sont «les gens», leurs pensées, leurs rapports aux uns et aux autres, leurs rêves ... et leurs cauchemars aussi.

Pour celles et ceux qui aiment voyager en classe polar. 
Les avis d'Essel et Jean-Marc.

vendredi 4 avril 2008

Pour qui te prends-tu ? (Chi Li)

Conseil de famille.

Après Triste vie, et Tu es une rivière, revoici à nouveau Chi Li avec Pour qui te prends-tu ?
On reste toujours dans le néo-réalisme chinois dont cette auteure s'est faite le porte-drapeau.
Mais c'est beaucoup plus drôle que les deux précédents opus, plutôt sordides.
Ici, on est plus dans le registre ironique des Secrets d'un petit monde, dont on vient juste de parler également.
Avec la description des transformations sociales, familiales et humaines de la société moderne chinoise d'aujourd'hui : divorce, affaires, ... au travers d'une tranche de la vie de Wuqiao, héritier d'une famille d'ouvriers déchus.

[...] Le nom de mon grand-père est inscrit à tout jamais dans l'histoire de la grande grève du 7 février. Pour le Parti, pour le peuple, nous avons conduit des machines agricoles toute notre vie, et j'en suis fier ! Comme le disait le président Mao, la classe ouvrière est la classe dirigeante. Nous devons en être fiers ! Actuellement, certes ... C'est pas la joie !
- Ça suffit ! coupa Wuqiao. Tu te crois encore à la tribune.

Le pauvre Wuqiao doit consoler ses parents désœuvrés, réconforter sa sœur en passe de divorcer et remettre sur le droit chemin son frère qui menace de tourner délinquant.
Instructive et amusante incursion chez des chinois d'aujourd'hui, même si l'on devine que beaucoup de traits d'humour échappent à nos yeux occidentaux.
De ces trois petits bouquins, Tu es une rivière reste le plus passionnant.


Pour celles et ceux qui aiment jeter un oeil chez les voisins.
Allie en parle.

jeudi 3 avril 2008

Les morts du karst (Veit Heinichen)

Paris-Trieste en classe polar.

Petite leçon d'histoire récente chez nos voisins transalpins.
Plus précisément en Istrie, cette péninsule coincée entre Italie et ex-Yougoslavie (la Croatie et la Slovénie désormais).
Là où Trieste fait face à Venise.
Une région malmenée pendant ce dernier siècle, ballotée entre les fascistes de Mussolini, les nazis d'Hitler et les communistes de Tito.
[...] Comme on le dit si bien : dans cette région on ne sait jamais quel passeport on aura le lendemain.
De cette histoire mouvementée subsistent des traces dans la mémoire des habitants : celles des massacres au cours desquels des milliers de personnes furent pourchassées et massacrées, tantôt par un camp, tantôt par un autre.
Le relief karstique de l'arrière-pays recèle, comme le Vercors ou la Chartreuse chez nous, de nombreuses failles : les foibe en patois local. Et les pratiques de cette époque sauvage voulurent que les indésirables y soient précipités, bon débarras. Que ce soit les croates pour les fascistes ou, plus tard, les italiens pour les communistes, prémices des nettoyages ethniques modernes.
Ce passé douloureux sert de toile de fond au polar de Veit Heinichen, un allemand qui vit à Trieste : Les morts de karst, on ne peut être plus clair.
[...] La seule chose qui rappelait aujourd'hui cette période, c'étaient des polémiques et, de temps à autre,  l'affreuse découverte d'une foiba encore inconnue dans laquelle avaient fini les victimes : on les y jetait mortes ou vivantes, puis on lançait des grenades et, le plus souvent, un chien noir censé incarner le mal. Rares étaient ceux qui survivaient au massacre. Jusqu'à présent on avait recensé trente foibe en Istrie et sur le karst triestin. Le nombre supposé des morts allait de cinq cents à vingt mille. Aussi bien des italiens que des croates et des slovènes.
Comme dans beaucoup de polars modernes, les évènements du passé ont encore des échos dans les drames actuels. Et c'est dans ce contexte que le commissaire Proteo Laurenti va mener son enquête.
Encore un flic plus à l'aise dans ses investigations professionnelles que dans sa vie privée, largué par sa femme comme par son fils.
[...] Dans la rue il pesta à voix haute. Sa femme enlevée par un agent d'assurances, son fils fréquentant un bistrot de fascistes. Et puis quoi encore ? On ne pouvait vraiment pas dire qu'il était dans une bonne phase.
On n'a pas été tout à fait convaincu par le personnage de Laurenti, une sorte de version italienne à mi-chemin entre l'Adamsberg de Fred Vargas et le Wallander de Henning Mankell, mais ce bouquin a l'évident mérite de nous dévoiler tout un pan d'histoire-géo méconnu et peu enseigné (ou alors on dormait près du radiateur).
Ça mérite un second épisode.

Pour celles et ceux qui aiment réviser leur Histoire.

mercredi 2 avril 2008

Les secrets d’un petit monde (Ye Mang)

L’élégance du hérisson … pékinois.

Ye Mang est le pseudonyme de Peng Xingguo, un auteur chinois contemporain connu pour ses peintures satiriques des travers de la société chinoise : corruption, favoritisme, détournements de fonds, mercantilisme, ...
Avec Les secrets d'un petit monde nous voici plongés dans le quotidien des habitants d'un immeuble de Beijing, le Grand Pavillon jaune (ironique référence au célèbre Pavillon rouge, celui du rêve), à la suite de Wang Yongle, l'homme à tout faire chargé de l'entretien de l'ascenseur défectueux, des fuites des salles de bain, et de tout ce qui fait défaut après que le promoteur se soit sucré sur le coût de la construction.
Wang Yongle a donc l'occasion de s'introduire régulièrement chez les habitants, dont un écrivain qui doit beaucoup ressembler à Ye Mang lui-même.

[...] - À propos, qu'est-ce que vous faites dans la vie ? Pour être franc, vous me semblez un peu pédant.
Quand je lui eus appris mon métier, il éclata de rire.
- Alors comme ça, monsieur est écrivain ! Pas étonnant que vous soyez toujours fourré à la maison ! Vraiment, on est au grand complet au Grand Pavillon jaune : des rédacteurs, des traducteurs, des journalistes et pour couronner le tout, un écrivain. [...] Si jamais il y a une coupure d'eau ou de courant, c'est vous que je chargerai d'écrire l'avis.
J'éclatai de rire à mon tour.

Car l'ami Wang Yongle a la langue bien pendue et, véritable moulin à paroles, il ne mâche pas ses mots et remet très vite chacun à sa place.
Ce concierge pékinois serait un peu comme un lointain cousin asiatique de Renée, la concierge de Muriel Barbery.
On suit donc toute cette petite population pendant une centaine de pages très rapidement lues, avec même une presqu'intrigue policière, lorsque la toute nouvelle voiture d'une concubine de politicien véreux, dont l'antivol hurle toutes les nuits, se voit écrabouillée par un mystérieux projectile.
Bien sûr on aura compris que les secrets ici dévoilés ne sont pas tant ceux du Grand Pavillon jaune que ceux de la société moderne pékinoise.


Pour celles et ceux qui aiment les voyages par les livres.