mardi 29 janvier 2008

Le bouddha de banlieue (Hanif Kureishi)

Londonistan.

Hanif Kureishi est plus connu comme l'auteur de My beautiful Laundrette qui a servi de scénario à Stephen Frears.
Avec Le bouddha de banlieue, voici un roman fortement autobiographique qui raconte la jeunesse à Londres d'un fils d'émigré Paki ...
[...] Comme beaucoup d'indiens, mon père, quoique petit, était beau et bien fait avec des mains délicates et des manières gracieuses. À côté de lui, la plupart des anglais donnaient l'impression d'être des girafes maladroites. [...] Il était en particulier aussi fier de sa poitrine que nos voisins l'étaient de leur cuisinière électrique. Au moindre rayon de soleil, il enlevait sa chemise, se précipitait dans le jardin avec un transat et son journal.
et d'une mère British ...
[...] Ma mère était une femme potelée qui n'attachait guère d'importance à son corps. Elle avait un visage rond et pâle et de gentils yeux mordorés. Elle considérait son corps comme un objet gênant qui l'entourait, uen sorte d'île déserte, inexplorée, sur laquelle elle aurait échoué.
Hanif Kureishi est fin et plein d'humour, tendre envers ses personnages, et il n'est jamais aussi bon que quand il décrit sa famille paki émigrée dans la banlieue Sud de Londres : les parents, les frères, la cousine émancipée, les tantes ou les oncles épiciers, ...
On parcourt ainsi les rues de Londres mais aussi les années 70 (puis 80) et c'est, pour ces immigrés comme pour beaucoup d'autres, les années de la découverte de la liberté : Soft Machine, Pink Floyd (ahh Ummagumma !), King Crimson, Emerson Lake & Palmer, tout y est ! ... avant plus tard les punks.
Une époque où les drogues n'étaient pas encore dures et où le désir n'était pas synonyme de maladie sexuellement transmissible (Karim, le héros de Kureishi s'essaie à tous les plaisirs et avance à voile et à vapeur).
On a lu en diagonale un passage un peu plus lourdingue quand Karim se lance dans le théâtre (l'agit-prop des années 70 !) et se regarde un peu trop le nombril (pour ne pas dire un peu plus bas) préfigurant ainsi la gay generation dont la seule préoccupation existentielle semble être de savoir avec qui coucher ce soir.
Mais cela ne suffit pas à gâcher cette intéressante et amusante plongée dans les années passées et les milieux indiens de Londres.

Pour celles et ceux qui aiment replonger avec nostalgie dans leurs années 70. 
D'autres avis sur Critiques Libres.

lundi 28 janvier 2008

Pourquoi les manchots n'ont pas froid aux pieds ?

Pourquoi ? Parce que !

Non, ce n'est pas encore un nième polar polaire, mais en ce début d'année, alors que les prix du pétrole flambent, alors que la politique épouse le spectacle, alors que le chômage avance et que la retraite recule, alors qu'il fait froid, ..., tout un chacun se pose légitimement des questions, des questions, des questions ...
Détendez-vous !
Ce livre, lui, apporte des réponses ! Enfin !
Et aussi plein de questions que vous ne vous étiez peut-être pas posées, de peur de ne savoir y répondre.
Un peu dans la lignée des livres tout à fait inutiles et donc absolument indispensables comme Les listes du bon docteur Schott, dont on s'était déjà fait l'écho ici.
Pourquoi les manchots n'ont pas froid aux pieds ?, pourquoi les moutons courent-ils droit devant les voitures ?, pourquoi les poissons-volants volent ? ... ça c'est pour le côté "nos amies les bêtes",
Pourquoi pleure-t-on quand on épluche des oignons ?,  pourquoi le fromage fondu fait des fils ?, pourquoi le ciel est bleu quand il fait beau ?, pourquoi certains sacs en plastiques sont-ils bruyants ?  ... ça c'est pour le côté vie pratique,
Il y en a comme cela des kilos, 111 pour être précis.
Mais l'intérêt de cet amusant recueil n'est pas dans les questions mais bien sûr dans les réponses.
Toutes ont été collectées auprès de différentes sommités et éminences savantes (ce sont des extraits d'une rubrique du New Scientist) qui ont répondu avec précision, science et surtout, surtout, humour. Et il y a parfois de véritables polémiques et controverses qui naissent ainsi sous nos yeux à partir d'une question tout à fait inutile.
Comme quoi on peut être sérieux et ne pas se prendre au sérieux.
Comme quoi on peut avoir l'esprit plein et être plein d'esprit.
Quant à nous on s'amuse en s'instruisant, mais on peut faire l'inverse, ça marche aussi.

Pour celles et ceux qui aiment réflechir à de vraies questions. 
Moleskine en parle aussi.

samedi 26 janvier 2008

Typhon sur Hong-Kong (John Burdett)

La menace du dragon chinois.

Scoop inédit : ce qu'il y a de bien avec les polars, c’est qu’ils permettent de voyager facilement et de découvrir de nouveaux pays.
Comment ça, « on se répète » ?!
On avait déjà parlé de John Burdett avec l'excellent Bangkok 8, qui comme l'indiquait le titre du billet, nous emmenait en Thaïlande.
Cette fois, l'avion atterri à Hong Kong, en 1997 à la veille de la restitution à la Chine de l'ancienne colonie britannique, vestige de la guerre de l'opium lorsque les blancs exploitaient l'immense marché chinois.
On retrouve quelques clés de lecture propres à Burdett et notamment le choc des cultures qui oppose finement des chinois de Chine ou de Hong Kong, des Britanniques et même des Américains ou des Australiens.
[...] Chan aimait l'odeur des livres chinois, subtilement différente des livres occidentaux. Pas de photos sur les couvertures, pas de racolage commercial - tout était dans le texte imprimé. C'est cela que les livres devraient toujours sentir : le papier, la reliure et les mots, pas les fanfreluches.
Ce récit (écrit en 1997 pendant les événements de Hong Kong) nous a semblé un petit peu moins maîtrisé que l'humour ravageur de Bangkok (qui date de 2003) mais les quelques passages un peu faciles (genre yacht, sexe and sun) sont vite lus au bénéfice d'un bouquin très intéressant : le rayon polars de l'année 2008 commence avec une belle surprise.
Le typhon qui menace l'île de Hong Kong au début du bouquin est rapidement oublié : ce n'est qu'une allégorie de la menace plus sérieuse, celle de la Chine à qui vont être restitués ces territoires abandonnés par les anciens colons britanniques.
[...] Chan avait lu un poème contemporain dans lequel le vent était comparé à la ruée d'un milliard d'hommes invisibles écrasant tout sur leur passage. Le poète n'avait pas besoin d'être plus précis : dans la mythologie ancienne, le vent est une manifestation du Dragon, et le trône du Dragon appartenait à l'empereur de Chine.
À deux mois de l'échéance de juin 1997, il reste six millions de secondes : une pour chacun de ces habitants de l'île qui campent devant l'antre du Dragon chinois.
[...] À cinquante kilomètres au nord vivaient 1,4 milliard d'êtres humains dont l'attention collective était rivée sur Hong Kong, deux mois avant sa restitution à la République Populaire de Chine. C'était comme vivre dans une soufflerie mentale : vous sentiez le vent d'une envie et d'une haine incontrôlables accumulées de l'autre côté de la frontière. Quelqu'un a dit que Hong Kong est un lieu emprunté vivant en sursis. Ce sursis se mesurait maintenant en heures : quinze cents pour le moment, et filant vite. Les communistes arrivaient, ils étaient presque là.
Tout cela prend des allures de fin de siècle et tout le monde s'apprête à basculer du colonialisme anglais (une « dictature éclairée » !) à la dictature tout court.
[...] En Chine, Hong Kong n'est qu'une décoration de Noël, et Noël sera bientôt fini.
Le livre a été écrit, on l'a dit, en 1997 et depuis, il s'est avéré que le dragon chinois avait finalement bien appris des leçons du capitalisme et que les erreurs du passé (notamment l'effondrement de Shanghaï après sa reconquête en 1949) n'ont pas été reproduites : dix ans après, Hong Kong continue son expansion florissante, même sous le drapeau rouge.
Mais ça l'auteur ne le savait pas encore.
Dans ce décor géo-politique soigneusement dessiné, John Burdett trame une intrigue policière riche et complexe qui entremêle argent sale (on est à Hong Kong !), triades et mafias occidentales (russes, italiens, ... il y en a pour tous les goûts), politique, drogue et même nucléaire.
La prose sans pitié de John Burdett fait souvent mouche et l'on renifle même parfois des parfums de Michael Connelly, belle référence.
Chacun en prend pour son grade : les colons britanniques finissants, les expatriés de tout poil venus s'enrichir ou s'exotiser, et bien entendu les redoutés chinois, qu'il s'agisse des cadres corrompus de l'armée populaire ou des anciens fanatiques des Gardes Rouges dont les échos des atrocités commises pendant la Révolution Culturelle résonnent encore.
Il n'y avait pas grand monde à sauver en 1997 à Hong Kong ...
[...]- Franchement je donnerais dix ans de ma vie pour rester à Hong Kong. 
- Sur ce rocher pollué, infesté de chinetoques, superficiel, grossier, matérialiste, étouffant ? 
- Vous savez pourquoi ? Parce qu'il grouille de vie, nuit et jour. Il en déborde. Les gens courent dans tous les sens pour gagner leur croûte, personne n'a le temps de rester assis à gémir. L'Angleterre est au Vallium, l'Amérique au Prozac. Ici, les gens se comportent encore en êtres humains. Il y a de la jeunesse, de l'ambition, de l'énergie. Quatre-vingts pour cent de la population ont moins de trente ans.
Même si on a plutôt mis en avant dans ce billet le côté historique, voilà bien un polar «tous publics» et de quoi renforcer l'idée d'une petite escale à l'occasion d'un futur voyage ...<

Pour celles et ceux qui aiment découvrir les «charmes» de l'Orient. 
L'avis (que l'on partage) de Jean-Marc.

jeudi 24 janvier 2008

Le demi-frère (Lars Saabye Christensen)

L'apprentissage de la vie (bis).

Il y a quelques jours on parlait du Fabuleux destin d'Edgar Mint de l'américain Brady Udall et voici un autre roman qui lui ressemble : Le demi-frère du norvégien Lars Saabye Christensen.
Deux gros pavés qui se font écho, on l'a dit la semaine dernière : des histoires d'enfance ou d'adolescence, de belles plumes amples et généreuses, des personnages et des décors hauts en couleurs.Et, donc une ... machine à écrire qui accompagne les héros des deux bouquins. Avec cette fois le norvégien, voici l'histoire de l'adolescence de Barnum et de Fred son demi-frère, pas tout à fait désiré, c'est un euphémisme :
[...] « Je n'aurais pas dû naître. » J'attendais qu'il continue, tout en espérant intérieurement qu'il se taise. «J'ai été introduit de force à l'intérieur de maman, avait-il poursuivi à voix basse. J'aurais dû être retiré. Arraché puis balancé. Mais maman n'a rien dit avant qu'il ne soit trop tard et le docteur Schultz était trop fin soûl pour se rendre compte de mon existence.» « Comment tu le sais ? » Fred avait souri. « J'ai écouté. J'ai écouté la cour. Le grenier. Les histoires traînent partrout, Barnum. »
Des histoires qui commencent à la fin de la seconde guerre sur fond de dénonciation et de spoliation de juifs alors que les enfants de père allemand sont enlevés à leur mère norvégienne pour être confiés à d'autres familles.Avec l'époque moderne, Barnum et Fred grandissent peu à peu.
Enfin non, Barnum ne grandit pas, justement, et il va rester obsédé et tourmenté par sa petite taille.
[...] Si seulement tout pouvait ne pas avoir eu lieu, si seulement le temps pouvait être remonté, d'un seul coup, pour que tout ce qui allait de travers aille de nouveau dans le bon sens. 
[...] « C'est peut-être une punition », murmurai-je. Elle donna un coup de canne sur le plancher. « Une punition ! Et qui voudrait nous punir, Barnum ? » « Je ... Je ne sais pas », balbutiai-je. Boletta poussa un soupir. « Peut-être qu'en fin de compte la punition, c'est notre condition d'être humain. »
Entre quelques allées et venues du père fantasque de Barnum, on suit peu à peu son adolescence avec son demi-frère, gâtés ni par la vie ni par la nature, entourés de trois femmes : leur mère, Véra, la grand-mère, Boletta, un peu portée sur la bière et pendant un temps, l'arrière-grand-mère, La Vieille, ancienne actrice du muet. Trois beaux portaits de femmes, trois fortes et originales personnalités.
Le roman, touffu, foisonnant, oscille entre les différentes époques, mélangeant astucieusement passé et présent, au gré des humeurs et des échos du temps, comme pour nous aider à mieux cerner ses personnages dans leur entièreté.

Pour celles et ceux qui aiment les grandes sagas norvégiennes. 
D'autres avis sur Critiques libres ainsi que celui de Gachucha ou d'Agapanthe. 
Chimère parle de ces deux bouquins, elle aussi.

mardi 15 janvier 2008

Le destin miraculeux d'Edgar Mint (Brady Udall)

L'apprentissage de la vie.

Hasard des coïncidences, nous voici en ce changement d'année avec deux pavés bien semblables : - aujourd'hui, Le destin miraculeux d'Edgard Mint de Brady Udall
- et Le demi-frère de Lars Saabye Christensen dont on parle aussi.
Deux gros pavés qui se ressemblent à plus d'un titre : tous deux racontent des histoires d'enfance ou d'adolescence, tous deux sont issus de belles plumes amples et généreuses, tous deux campent des personnages et des décors hauts en couleurs.
Et, plus surprenant, les héros des deux bouquins sont tous deux accompagnés d'une ... machine à écrire.
D'habitude on n'est pas trop fan des histoires de gosses, mais ces deux auteurs n'écrivent pas comme s'ils avaient 13 ans et ils ont depuis bien longtemps oublié la naïveté de l'époque où ils n'avaient pas encore de poils au menton : c'est de la vraie littérature, pour adultes, c'est dur et c'est fort.
Brady Udall, on connait déjà : on l'avait découvert récemment avec quelques nouvelles qui valaient le détour et étaient même montées sur le podium du Best-of 2007. Revoici donc cet auteur avec un gros roman et toujours un art très abouti de camper toute une histoire en quelques lignes :
[...] Dans le jardin de devant se dressait, squelette calciné, un vieux peuplier frappé par la foudre qui n'offait pratiquement pas d'ombre jusqu'à ce que ma mère ait pris
l'habitude d'accrocher des boîtes de bière aux branches noircies à l'aide de fil de pêche. Les centaines de canettes, auxquelles une bonne douzaine venait chaque jour s'ajouter, tintaient doucement quand la brise se levait, mais elles ne contribuaient guère à donner de la fraîcheur à la maison.
Et on n'est là qu'à ... la première page du bouquin ! Un roman ample, foisonnant, débordant d'imagination, de drôlerie, de tendresse mais aussi de dureté, qui raconte l'histoire d'Edgar, un gosse à moitié abandonné (disons plutôt aux trois-quarts abandonné) qui fera le dur apprentissage des choses de la vie.
Un gosse «cabossé» (à sept ans, la jeep du facteur lui roule sur la tête) comme tous les personnages perdus dans cet ouest américain et qui vont l'accompagner pendant un bout de chemin, jusqu'à ce qu'Edgar retrouve la paix dans sa tête malmenée.
Edgar, c'est aussi un demi-Apache et l'on retrouve donc dans cette histoire quelques échos aux histoires d'indiens de Tony Hillerman dont on parlait il y a peu.Enfin, Brady Udall est mormon et si cela ne transparaissait guère dans ses nouvelles, ici, quelques chapitres pleins de tendre ironie font la part belle à une famille de l'Utah qui reccueille le jeune Edgar.
Mais au fil des nombreuses pages, le roman est peut-être un peu répétitif et, s'il s'agit d'une première découverte de Brady Udall, on préférera les petites nouvelles plus percutantes de Lâchons les chiens.

Pour celles et ceux qui aiment les grandes fresques américaines. 
D'autres avis sur Critiques libres 
Chimère parle de ces deux bouquins, elle aussi.

vendredi 11 janvier 2008

Toxic blues (Ken Bruen)

Et une autre Guinness, une !

Il y a quelques semaines (mais c'était déjà l'an passé), on avait bien aimé (BMR surtout) Ken Bruen et Delirium Tremens, alors on s'était promis de retourner en Irlande avec son ivrogne de détective : Jack Taylor.
Cette fois c'est Toxic Blues.
Et le bouquin porte bien son titre car, non content d'être imbibé d'alcool à longueur de pages, Jack Taylor est cette fois accro aux drogues dures.
Sans doute avons-nous lu cette deuxième enquête trop tôt après la première : les vapeurs d'alcool ne s'étaient pas encore dissipées et on avait encore la gueule de bois.
Et du coup on a moins apprécié ce second épisode : l'ami Jack en fait vraiment un peu trop.
Bien sûr on retrouve l'essentiel de Ken Bruen et sa marque de fabrique : une intrigue très mince mais bien ancrée dans son Irlande à lui, prétexte à une belle galerie de personnages qui tournent autour de son détective, amateur d'alcools et d'autres substances, de bagarres, de justice rendue un peu n'importe comment, de bouquins et de musique.
[...] Je ne savais pas du tout comment avoir Ronald Bryson.  Le buter était la solution la plus séduisante. Mais pour ça, il me fallait une putain de preuve. Bien sûr, je pouvais toujours dire une prière, mais je ne m'y fiais pas beaucoup. Quel que soit le cours des choses, je ne croyais pas du tout que la religion m'aiderait à coincer ce fumier. Alors j'ai fait ce que je fais quand je suis dans une impasse : j'ai lu. Appelez ça une fuite, si vous voulez. Moi, j'appelle ça la paix.
L'enquête tourne autour des tinkers (littéralement, les rétameurs), qui sont un peu à l'Irlande ce que sont les gitans au continent : des gens du voyage (même s'ils sont irlandais pure souche), anciens colporteurs, anciens métayers, expulsés et rejetés de partout, et qui, cette année à Galway semblent assassinés un peu plus souvent qu'à leur tour ...
Jean-Marc Lahérerre parle du dernier bouquin de Ken Bruen, Le dramaturge (Télérama aussi), où l'ami Jack semble s'être un peu assagi : peut-être tenterons nous un autre voyage à Galway un peu plus tard.
Mais que cela ne vous empêche pas de découvrir l'Irlande de Jack Taylor avec le volume précédent : Delirium Tremens.

Pour celles et ceux qui aiment la bière, le whiskey et cette fois, la coke. 
D'autres avis comme celui de Gachucha sur Critiques libres.

mercredi 9 janvier 2008

BD : Le tueur

Une profession réhabilitée.

Il y a un an déjà, on avait cru la série terminée avec le 5ème album de Luc Jacamon aux dessins et Matz au scénario : Le tueur.
La série nous avait beaucoup plu et avait même eu droit à une place sur le podium du best of 2006.
Aimable surprise que ce nouvel album : Modus vivendi, où Le Tueur reprend du service après une longue absence ...
... pendant que Le Tueur se la coulait douce sur son île des Caraïbes avec femme et enfant, jusqu'à ce que des narcos viennent le narguer.
[...] La vérité c'est que quatre ans sans rien faire, c'est bien, mais ça finit par être long. Faut croire que j'étais un peu jeune, finalement, pour la préretraite.
Bien sûr ce 6ème épisode a un petit goût de réchauffé, mais les accros de la série replongeront avec délices aux côtés de ce méticuleux professionnel.
On apprécie toujours cette BD au graphisme original, moderne et nerveux mais où les textes à eux seuls valent le détour (l'utilisation de la «voix off» permet en effet une plus grande liberté d'écriture que les bulles de dialogue classiques).

Pour celles et ceux qui aiment les gentils bandits. 
D'autres avis sur Amazon.

dimanche 6 janvier 2008

Inconnu à cette adresse (Katherine Kressmann Taylor)

Ouvrez grands les yeux.

Nous avions découvert ce texte au théâtre (au Lucernaire) l'an passé.
La guerre mondiale est au programme de 3° au collège. 
Deux bonnes raisons de voir débarquer ce petit opuscule à la maison.
C'est une américaine, Kathrine Kressmann Taylor, qui a écrit ce petit texte Inconnu à cette adresse, un échange épistolaire de quelques lettres entre deux amis.
Enfin deux «amis» au début ... quand tout va bien.
Quand vers 1933 le juif resté aux US écrit à son ami rentré en Allemagne.
[...] Qui est cet Adolf Hitler qui semble en voie d'accéder au pouvoir en Allemagne ? Ce que je lis sur son compte m'inquiète beaucoup. Embrasse les gosses et notre abondante Elsa de la part de ton affectionné Max.
Peu à peu, l'échange tourne au vinaigre, au fur et à mesure que l'allemand se laisse embarquer par le nazisme triomphant.
[...] Je n'ai jamais haï les juifs en tant qu'individus - toi, par exemple, je t'ai toujours
considéré comme mon ami -, mais sache que je parle en toute honnêteté quand j'ajoute que je t'ai sincèrement aimé non à cause de ta race, mais malgré elle. 
Au fil de ces quelques pages, l'histoire (et l'Histoire aussi) vire franchement mal lorsque l'allemand refuse son aide à la soeur du juif, en proie aux persécutions à Berlin. Son frère recevra bientôt une lettre avec la mention : inconnu à cette adresse, qui indique que la soeur bien-aimée n'aura pas survécu.
Sa vengeance sera sans appel ... et on vous laisse découvrir ce que cache réellement le titre de ce petit livre terrible mais très astucieux (on aurait presque pu le classer dans les polars), avec une belle alliance de la forme et du fond.
Comme dans tous les livres écrits depuis sur cette époque (comme dans le Rapport de Brodeck pour n'en citer qu'un qui fait beaucoup parler de lui en ce moment) on y parle de pogroms, d'extermination, de camps de concentration, ...
Mais le plus terrifiant n'est pas dans le texte mais dans quatre petits chiffres hallucinants sur le copyright : 1938 !
L'américaine a écrit cette histoire 2 ou 3 ans avant la guerre !
Plusieurs années avant que le monde ouvre les yeux !
Un livre obligatoire !

Pour celles et ceux qui aiment qu'on éclaire leur chemin. 
D'autres avis sur Critiques libres. 
InColdBlog en parle.

jeudi 3 janvier 2008

Le terrier (Franz Kafka)

Labyrinthique.

L'idée de lire Le terrier, ce tout petit opuscule (oui ! encore un), une nouvelle en fait, nous était venue en octobre à l'occasion de l'expo Bêtes et Hommes à La Villette.
Un extrait du texte de Kafka y était lu en boucle par Denis Lavant dans l'obscurité d'un faux-terrier reconstitué et c'était, avouons-le, saisissant, du moins pour celui qui se donnait le temps de prêter l'oreille.
Alors on a retrouvé ce très beau texte en version intégrale.
Intégrale ou presque, puisqu'il s'agit d'une des dernières nouvelles de Franz Kafka, ... jamais achevée.
Mais, dans l'esprit tortueux de Kafka, y'avait-il seulement une fin à ce texte qui tourne en rond comme tourne en rond la créature, mi-homme mi-bête, qui s'agite et s'affole dans son terrier ?
Le discours obsessionnel de cette créature est vraiment hallucinant.
[...] Il me semble parfois dangereux de baser toute la défense dans la forteresse, car la diversité du terrier m'offre un très large éventail de possibilités, et il me paraît plus
conforme à la prudence de disperser un peu les provisions et d'en pourvoir un certain nombre de petits ronds-points; je décide alors par exemple qu'un rond-point sur trois deviendra une réserve ou qu'un rond-point sur quatre sera une réserve principale et un sur deux une annexe, et autres calculs du même genre. Ou bien, en guise de manoeuvre de diversion, j'exclus totalement que certaines galeries puissent être garnies de provisions, ou bien je choisis au hasard un petit nombre de ronds-points, en fonction de leur position par rapport à la sortie principale. [...] Il me semble parfois - habituellement lors d'un réveil en sursaut - que la répartition actuelle est tout à fait mauvaise, qu'elle peut être source de graves dangers et doit être sur l'heure rectifiée au plus vite.
Et ainsi pendant des pages et des pages, des jours et des jours, l'homme ou la bête tourne en rond dans son terrier, défaisant ceci, refaisant cela, améliorant ici, fortifiant là, ... cherchant à se protéger toujours mieux et toujours plus d'une hypothétique attaque ...
Jusqu'à ce qu'un jour il entende un bruit inhabituel, un chuintement.
Et voici l'homme ou la bête (le choix n'est jamais possible et c'est là un des nombreux atouts de ce texte) reparti à la recherche sans fin de la source de ce chuintement, un ennemi sans aucun doute, un prédateur à sa poursuite, ... à moins qu'il ne s'agisse peut-être que de l'écho de sa propre respiration ?
Nous ne le saurons jamais et Kafka a emporté son secret dans son propre terrier.
Un opuscule minuscule par la taille (quelques 60 pages sur 15 petits centimètres de hauteur) mais grand par la puissance du texte.

Pour celles et ceux qui aiment les histoires de fous.