vendredi 14 septembre 2007

Le rapport de Brodeck (Philippe Claudel)

Deuxième essai, réussi avec Philippe Claudel.

Ce sera peut-être notre seule contribution à l'effervescence de la rentrée littéraire et de ses innombrables sorties qui s'empilent chez les libraires.
Mais nous étions sortis frustrés de notre lecture précédente de Philippe Claudel : le Café de l'Excelsior; sa plume méritait donc une seconde chance : Le rapport de Brodeck.
Bien sûr, on y retrouve les tournures savamment peaufinées qui nous avaient un peu agacés dans le Café.
Toutefois Le rapport de Brodeck s'avère plus consistant et au fil des pages les effets « m'as-tu-lu » de Philippe Claudel se diluent dans une histoire prenante et oppressante.
Une histoire qui se dit intemporelle et universelle mais qui fait clairement référence à deux guerres (la deuxième avec son cortège d'exactions et d'exterminations) et à un petit pays d'Europe centrale au dialecte germanique.
À la fin de cette deuxième guerre, quand Brodeck, réchappé d'un camp, retrouve son village, c'est pour être pratiquement le témoin d'un assassinat collectif, le quasi lynchage d'un étranger, d'un «Autre» (ils l'appellent l'Anderer). Les villageois vont lui demander d'écrire un rapport sur cet événement et les causes qui les ont amenés à cet acte abominable.
[...] ... si j'avais été dans l'auberge, je n'aurais rien fait pour empêcher ce qui s'est produit, je me serais fait le plus petit possible, et j'aurais assisté impuissant à l'épouvantable scène. Cette lâcheté, même si elle n'avait pas eu lieu, me dégoûtait. Au fond, j'étais comme les autres, comme tous ceux qui m'entouraient et qui m'avaient chargé de ce Rapport dont ils espéraient qu'il allait les disculper.
L'enquête de Brodeck constitue un roman construit de façon astucieuse et savante : tout est prétexte pour passer du coq à l'âne et du fil à l'aiguille. On navigue sans cesse d'un personnage à un autre, d'une époque à une autre. Sans que cela devienne confus ou embrouillé, on devine par petites touches successives le passé, la face cachée des uns et des autres, de Brodeck aussi. C'est ce qui fait tout le charme de cette lecture.
Un peu comme si l'on découvrait peu à peu les pièces d'un grand puzzle.
Un puzzle où il s'agirait de reconstituer un tableau.
Mais un tableau de Jérôme Bosch. Car c'est bien l'horreur et la noirceur que l'on découvre derrière chaque image.
Brodeck vit dans un village où le curé est devenu un ivrogne : obligé de boire pour «oublier» tout ce qu'on est venu lui confier sous le sceau du secret de la confession.
«- C'est toi qui a lavé le sol ? 
- Il faut bien que quelqu'un le fasse ... 
- Et cette tache qu'est-ce que c'est ? 
- À ton avis Brodeck ?» 
Je me suis retourné vers Schloss. 
« À ton avis ...» répéta-t-il d'un air las.
Très vite, on a bien sûr une vague idée du tableau d'ensemble (comme si l'on disposait du modèle sur le couvercle de la boîte de notre puzzle) et l'on se doute que le lynchage de l'Anderer cache en réalité des drames encore plus sombres.
Mais cela ne suffit pas à la démonstration et tout l'art de Philippe Claudel est bien de nous amener, pièce par pièce, à prendre conscience de cette mécanique infernale et sous une apparence anodine de fable philosophique, il nous entraîne au plus noir de l'âme humaine.
Si certains croyaient encore que le rire est le propre de l'homme, ils découvriront que Brodeck est d'un tout autre avis : pour lui, c'est de lâcheté qu'est pétrie l'humanité.

La toile en parle un peu : ici, ou et . 
KatellEssel et Philippe ont lu également.

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