vendredi 28 décembre 2007

Un homme est tombé (Tony Hillerman)

Polar chez les indiens

Répétons-le encore, dès fois que d'aucuns auraient loupé les billets précédents : l'avantage des polars, c’est qu’ils permettent de voyager facilement et de découvrir de nouveaux pays et de nouvelles gens.
Après la Chine et l'Irlande évoquées récemment, nous voici, avec Tony Hillerman et ses enquêtes navajos, dans le Far West moderne, chez les indiens donc (les navajos forment la plus importante minorité indienne aux US). Après avoir vécu deux ans dans le Pacifique Sud, on se rend compte que l'on connait finalement mieux les aborigènes d'Australie que les Indiens d'Amérique qui, pourtant, ont peuplé les films de notre enfance (mais il faut dire qu'ils étaient sévèrement encadrés par les cow-boys ...).
Et les parallèles entre les deux peuples sont nombreux.
L'importance de la tradition orale et du chant, le silence à observer sur le nom des morts, la convoitise des blancs pour leurs terres, le caractère sacré des montagnes que viennent escalader des grimpeurs blancs, ...
[...] - Celui qui vivait ici avant, reprit-elle en utilisant la circonlocution navajo pour éviter de prononcer le nom d'un mort, il disait que c'était comme si nous, les Navajos, on allait escalader cette grande église qu'ils ont à Rome, grimper au sommet du mur des Lamentations ou sur cet endroit où le prophète de l'Islam est monté au ciel.
- C'est un manque de respect, acquiesça Chee.
  Avec Tony Hillerman on plonge avec chaque épisode (ici : Un homme est tombé) au coeur de cette culture : les crimes sont commis sur le territoire de la Réserve et la police tribale mène l'enquête au rythme des autochtones qui savent prendre leur temps et dont on dit qu'ils vivent « à l'heure navajo » (il ne doit même pas y avoir de traduction pour«ponctualité»!).
[...] Leaphorn attendit. Attendit encore. Mais Demott n'avait nulle hâte d'interrompre ses souvenirs. Une brise soufflait dans le sens du courant, douce et rafraîchissante, faisait bruire les feuilles derrière l'ancien lieutenant et fredonnait cette petite mélodie que le vent léger chante dans les sapins.
- C'est une drôlement chouette journée, finit par dire Demott. Mais clignez des yeux deux fois et l'hiver s'abattra sur la montagne.
- Vous vous apprêtiez à me dire ce qui n'allait pas chez Hal.
- Je n'ai pas les diplômes qu'il faut pour pratiquer la psychiatrie.
Il hésita un très bref instant, mais Leaphorn savait que la réponse allait venir. c'était quelque chose dont il voulait parler ... et ce, probablement, depuis très, très longtemps. 
Un roman très intéressant pour ceux qui sont curieux de découvrir l'ouest américain et ses populations.


Pour celles et ceux qui aiment les histoires d'indiens, même sans cow-boys.
L'incontournable page de Cottet.

dimanche 23 décembre 2007

Delirium tremens (Ken Bruen)

Guinness-polar.

L’avantage des polars, c’est qu’ils permettent de voyager facilement et de découvrir de nouveaux pays et de nouvelles littératures.
Comment ça,on se répète ?
Alors avec Ken Bruen et Delirium Tremens, en route pour l’Irlande, pays du whiskey et de la Guinness (« aaah, la Guinness ! » soupire BMR, un verre bien crémeux à la main) !
Car comme le titre de ce polar l’indique, adeptes des AAA passez votre chemin !
Si vous pensiez avoir tout lu concernant les détectives à la bouteille facile, c’est que vous n’aviez jamais mis les pieds en Irlande, à Galway, chez Jack Taylor, le détective de Ken Bruen !
[…] Le Grogan’s n’est pas le plus ancien pub de Galway. C’est le plus ancien pub de Galway à ne pas avoir changé. […] J’aime ce pub car c’est le seul qui ne m’a jamais interdit l’entrée. Jamais, pas une seule fois. […] Aucune décoration au bar. Deux crosses de hurling (?) sont croisées au-dessus d’un miroir tacheté. Plus haut encore, il y a un triple cadre. On y voit un pape, saint Patrick et John F. Kennedy. JFK est au centre. Les saints irlandais. Autrefois, le pape occupait le poste de centre, mais après le concile du Vatican, il s’est fait virer. Maintenant il s’accroche à l’aile gauche.
Toute l’Irlande en quelques lignes !
Mais dans ce polar noir comme la bière, cet ivrogne invétéré de Jack Taylor n’apprécie pas que les bouteilles et, si le foie est fatigué, le cerveau, lui, est bien alerte :
[…] J’étais devenu un bibliophile dans le vrai sens du terme. Je n’aimais pas seulement lire, j’aimais les livres eux-mêmes. J’avais appris à en apprécier l’odeur, la reliure, l’impression, le contact des ouvrages entre mes mains.
Si avec tout ça vous n’êtes pas convaincu de vous embarquer à bord du ferry ou de l’avion pour Galway …
Ce voyage est aussi l’occasion de découvrir la plume aiguisée de Ken Bruen.
Une excellente surprise : une prose vive et acérée, pleine d’humour et de dérision, douce et amère à la fois (comme la Guinness, quoi !).
Et une histoire pleine d’humanité, comme on les aime.
Car d’intrigue policière, l’affaire est plutôt mince.
On sent bien que là n’est pas la question.
C’est juste pour le décor, juste le billet pour le bateau ou l’avion.
L’essentiel est ailleurs. Dans les personnages : Jack Taylor bien sûr, le détective imbibé , mais aussi toute la galerie de portraits qui gravite autour de lui.
Au passage on a remarqué la jeune Cathy B. et ses Doc Martens, peut-être une cousine de la jeune punkette de Millenium.
Il y a d’autres enquêtes de Jack Taylor (Télérama parlait récemment de la dernière livraison : Le Dramaturge) et on retournera donc en Irlande très bientôt (Toxic Blues a été lu aussi).
D’ailleurs il y a encore de la Guinness au frigo.

Pour celles et ceux qui aiment la bière et le whiskey. 
D'autres avis sur Critiques libres.

vendredi 21 décembre 2007

Petit marché, double bonheur (Fan Tong)

Maigret à Canton.


 L’avantage des polars, c’est qu’ils permettent de voyager facilement et de découvrir de nouveaux pays et de nouvelles littératures.Comment ? On l’a déjà dit ?
Et bien ça se vérifie une nouvelle fois encore !
Cette fois, c’est Fan Tong qui nous emmène en Chine, à Canton, avec Petit marché, Double bonheur.
Décidément, après Millenium, les couvertures au dessin naïf semblent à la mode.
Perso, le look de la collection « Mystère et boule d’opium » des éditions indiennes Kailash ne nous branche pas trop et cette façon « roman pour ados » ne nous accroche guère (d’autant qu’impression et reliure sont de piètre qualité) mais enfin, peu importe le flacon de la couverture pourvu qu’on ait l’ivresse de la lecture.
Et ça valait effectivement le coup de passer outre cette première « impression ».
Car voici un petit bouquin bien intéressant.
On pourrait presque comparer le commissaire Wang de Canton à son homologue parisien le commissaire Adamsberg, celui de Fred Vargas. En tout cas par la façon de scruter ses contemporains avec l’air de ne pas y toucher, de mener tranquillement ses propres réflexions pour lui seul (enfin, pour nous aussi) sans tenir compte de ses collègues.
Ce brave commissaire Wang parait très attaché aux valeurs traditionnelles et juge « pauvres » ses concitoyens qui vont faire la queue dans les supermarchés.
Il préfère le petit marché traditionnel de son quartier, le Bai Yun Shan.
[…] Le petit marché était un hall couvert, une structure de ciment et de poutres métalliques, peu gracieuse mais fonctionnelle. Il abritait au plus une cinquantaine de commerçants : les fruits et légumes au centre, les viandes, volailles et poissons côté nord, les épices et condiments sur l’aile ouest. Le reste était assez hétéroclite : deux coiffeurs, une couturière, un petit restaurant sichuanais à l’est, un marchand de nouilles, un réparateur de vélos et une fleuriste au sud.
Voilà toute la Chine en quelques lignes !
Mais c’est la Chine contemporaine et l’heure est à l’ouverture, sur l’Occident, sur la France, jugez plutôt :
[…] Elle prévint : il y aurait un tas de bonnes choses en plus du vin : du foie gras, du fromage … Il ignorait jusqu’à la consistance de ces aliments. Il savait simplement – il avait entendu dire, plutôt, par son amie française – que le fromage sentait horriblement mauvais mais était merveilleusement doux au palais.
L’intrigue policière n’est guère complexe mais, comme souvent, ce n’est pas là le propos : elle sert plutôt d’allégorie dans cette Chine en mutation où les petits marchés sont menacés et prêts d’être remplacés par les supermarchés d'un groupe aux dents longues et au nom trompeur : Double bonheur.
Derrière une prose qui peut paraître parfois un peu naïve, souvent pleine d’humour, Fan Tong s’avère un observateur très fin des mœurs de son pays et de son époque.
La fin étrange de son roman est d’ailleurs pleine de sous-entendus et ceux qui auraient cru à une amusante fabulette se réveilleront surpris.
Comme tout roman asiatique, celui-ci ne saurait rompre avec la tradition des proverbes, sentences et aphorismes. On a beaucoup aimé ces deux-là :
[…] Entre sa femme et lui, il y avait comme des brins de paille dans l’eau du riz. 
[…] Une tête trop pleine empêche les idées de bien circuler. 
(celle-là, elle est trop bonne !)
Idéal pour découvrir facilement et rapidement la Chine, avant les romans policiers plus aboutis de Qiu Xiaolong par exemple.
De quoi nous donner envie de continuer la série des enquêtes du commissaire Wang.

Pour celles et ceux qui aiment les voyages par les livres.

jeudi 20 décembre 2007

Insoupçonnable (Tanguy Viel)

À mali, malin et demi.

Hélas, mauvaise pioche avec Tanguy Viel et son roman Insoupçonnable (enfin 1 sur 26, on n'a pas eu à se plaindre cette année !).
L'histoire est a priori séduisante qui est celle d'une machination ourdie par un couple d'arnaqueurs à l'affût d'un riche héritier et d'une rançon.
[...] Cela, je ne sais pas ce qui t'a pris, Lise, ce qui a traversé d'un point à un autre ton esprit ce jour où tu m'as présenté Henri, quand au lieu de tout ce qui était prévu et parfait elle a dit : Je te présente mon frère. Elle ne devait pas dire ça, elle devait dire «je te présente un ami», elle a dit «mon frère».
Mais ces deux faux-frère et soeur trouveront plus retors qu'eux mêmes et le crime ne sera pas parfait ...
[...] Je listais chaque détail comme au supermarché on raye une par une les courses faites. 
Disparition du corps, fait. 
Vêtements sur la plage, fait. 
Nettoyage de la voiture, fait. 
Ramassage des billets blancs, fait. 
Alors est-ce que c'est aussi comme au supermarché quand, même avec une liste et la meilleure volonté, on rentre chez soi et il manque obstinément quelque chose ?
Sauf que l'on ne croit pas un instant à ces personnages, froids et distants.
Ni à cette rocambolesque histoire, brillant exercice de style intellectuel mais sans plus.
Et pour ce qui est de l'exercice de style, Tanguy Viel s'en donne à coeur joie : sa prose est du même tonneau que les auteurs à la mode comme Barbery ou Claudel.
Il y a de la phrase (en longueur) et de la virgule (en quantité) !

Pour celles et ceux qui aiment les exercices de style. 
D'autres avis sur Critiques libres.

mardi 18 décembre 2007

Le chat dans le cercueil (Mariko Koike)

Huis-clos à Tokyo.


Le chat dans le cercueil c'est un peu, à Tôkyô, la version moderne du huis-clos dont on avait déjà parlé : Le temple des oies sauvages et qui, lui, se déroulait à Kyôto.
Le temple des oies sauvages s'est transformé en une maison moderne de Tôkyô, à l'américaine.
Le roman se déroule en effet dans les années 50/60, après la guerre, pendant l'occupation américaine.

[...] Dans la ville, se trouvaient les vastes logements réservés de l'armée américaine. Après la guerre, les soldats cantonnés au Japon et leurs familles avaient formé un quartier de résidents à l'extrémité de la ville. Il occupait près de seize hectares,
ou plutôt non, il était probablement plus grand. L'accès à ce quartier entouré de hautes clôtures était interdit aux Japonais et, comme j'étais curieuse du mode vie des étrangers, je jetais parfois un regard furtif à travers les clôtures sur leur existence luxueuse.
Cette curiosité des japonais pour l'american way of life constitue l'intéressant décor cette histoire. Pas vraiment un polar, plutôt ce qu'on appelle parfois un suspense psychologique.
Dans cette maison «à l'américaine», vivent un veuf, artiste peintre occidentalisé, et sa fille qui, pour oublier la perte de sa mère, se réfugie dans les pattes de Lala, sa chatte.

Le père artiste fait venir une jeune provinciale pour s'occuper de sa fille et de la maison en échange de quelques cours de peinture. Entre ces trois-là (quatre, avec le chat) se nouent d'étranges liens.
Et lorsque le père ramène à la maison une belle femme qui vient troubler le fragile équilibre, on se doute bien que tout cela va mal finir, très mal finir.
Mais c'est sans compter sur l'effroyable pirouette finale qui fera passer tous vos sombres pressentiments pour d'aimables bluettes ...


Pour celles et ceux qui aiment les histoires tragiques. 
D'autres avis sur Critiques Libres.

vendredi 14 décembre 2007

Balzac et la petite chinoise (Dai Sijie)


Fahrenheit 451.

Dai Sijie est un chinois, écrivain et cinéaste, qui vit en France. Sa prose est donc facile, très européenne, pleine de références à la croisée des mondes entre Orient et Occident, comme en témoigne le titre de son roman : Balzac et la petite tailleuse chinoise.
[…] Son unique talent consistait à raconter des histoires, un talent certes plaisant mais hélas marginal et sans beaucoup d’avenir. 
Nous n’étions plus à l’époque des Mille et Une Nuits. 
Dans nos sociétés contemporaines, qu’elles soient socialistes ou capitalistes, conteur n’est malheureusement plus une profession.
Ce petit bouquin, cette petite fable, est un véritable hymne à la littérature, à la liberté d’écrire, à la liberté de lire.
À la fin de la Révolution Culturelle (Dai Sijie a lui aussi fait un «séjour» à la campagne), deux jeunes fils d’intellectuels sont envoyés dans une lointaine province montagneuse de Chine, condamnés à ce qui ressemble beaucoup à des travaux forcés, même si ce sont les travaux des champs.
Ils y découvriront un véritable trésor : une valise remplie de «lingots d’or».
Enfin, de livres pour être plus précis : Stendhal, Dumas, Flaubert et bien sûr Balzac.
Ils y feront également la connaissance de la fille du tailleur du village voisin (la petite chinoise).
Comme on l'a vu plus haut, les deux jeunes gens (et l'auteur !) possèdent des talents de conteurs, au point qu'ils en viennent à «raconter des films» de la ville pendant des heures aux gens du village qui n'auront jamais vu un écran de cinéma de leur vie !
Une étrange alchimie résultera de cet étonnant mélange.
[…] - Et maintenant où ils sont, ces livres ? 
- Partis en fumée. Ils ont été confisqués par les Gardes rouges, qui les ont brûlés en public, sans aucune pitié, juste en bas de son immeuble. 
Pendant quelques minutes, nous fumâmes dans le noir, tristement silencieux. 
Cette histoire de littérature me déprimait à mort : nous n’avions pas de chance. À l’âge où nous avions enfin su lire couramment, il n’y avait déjà plus rien à lire.
De quoi nous faire regretter d'avoir loupé son dernier film au cinoche l'an passé : Les filles du botaniste.
Qu'on nous permette également d'en profiter pour citer une très très belle phrase, celle du poète allemand Heinrich Heine (qui serait resté sans doute méconnu si les nazis ne s'en étaient pris à ces bouquins) :
Là où l’on brûle les livres, on finit par brûler les hommes.
Cette sentence tristement prémonitoire date de ... 1820 !

Pour celles et ceux qui aiment les livres. 
D'autres avis sur Critiques Libres ou chez Lo et Pitou.

lundi 10 décembre 2007

L'artiste tibétain (Thondrupgyal)

Au pays du yéti.


 Après l'excellent Cercle du karma, on avait promis de reparler de cette région où repose le toit du monde.
Voici donc Thöndrupgyäl et L’artiste tibétain.
Autant nous avons été emballés par le voyage de Kunzang Choden dans Le cercle du karma, autant ce voyage au Tibet ne nous a guère convaincu.
Certes l’exotisme et le dépaysement sont là, mais c’est bien tout et on n’a pas retenu grand-chose au-delà de ce décor de belles montagnes.
Dans cette nouvelle (un opuscule de plus !) il est surtout question d’amour filial, ce que cachait d’ailleurs le titre original en VO : L’amour de la chair et des os, puisque selon la croyance tibétaine, la mère transmet la chair et le père, les os.

Pour celles et ceux qui aiment les découvertes ethniques.

vendredi 7 décembre 2007

Chinoises (Xinran)

Mots sur la brise nocturne.

 Xinran c'est un peu la Ménie Grégoire de la Chine, pour ceux qui s'en souviennent (de Ménie Grégoire, je veux dire).
Journaliste et animatrice d'une émission de radio, elle recueille les témoignages de femmes. De femmes de Chine. De Chinoises, donc.
[...] Bonsoir, amis de la radio, vous écoutez "Mots sur la brise nocturne". Mon nom est Xinran, et je débats en direct avec vous du monde des femmes. De dix à douze tous les soirs, vous pouvez vous mettre à l'écoute de la vie des femmes, des battements de leurs coeurs et écouter leurs histoires.
De ses enquêtes et témoignages, elle en tirera ce bouquin. Parce que le Vieux Chen lui a dit :
«Xinran, vous devriez écrire tout cela. Écrire permet de se décharger de ce que l'on porte [...]. Si vous n'écrivez pas ces histoires, leur trop-plein va vous briser le coeur».
Résultat, c'est notre coeur à nous qui se fendille un peu à cette lecture.
Parce que c'est tout simplement effarant : comment peut-on vivre cela ? comment peut-on faire vivre cela ?
On se croirait au Moyen-âge, au mieux au siècle dernier (enfin, l'avant-dernier).
Mais non, toutes ces histoires ont été recueillies entre ... 1970 et 1990 ! Effarant.
[...] - Je vous raconterai l'histoire de ma fille, si vous voulez, mais pas ici. Je ne veux pas que les enfants me voient pleurer».
Ou encore :
[...] Il ne me restait qu'à demander à la directrice Ding si elle acceptait que je l'interroge. Elle a acquiescé, mais m'a suggéré de patienter jusquau jour de la fête nationale avant de revenir la voir. Quand je lui ai demandé pourquoi, elle m'a répondu : 
- Mon histoire ne sera pas longue, mais la raconter va me rendre malade pendant plusieurs jours. J'aurai besoin de temps pour m'en remettre».
Tout est dit : au lecteur aussi, il faudra quelques jours pour s'en remettre, même si la distance du livre de papier et de la lointaine Chine rend les choses heureusement moins vraies.
C'est la dure condition féminine qui est donnée à lire ici. La terrible condition des femmes chinoises de la fin de ce siècle (le dernier, cette fois) alors que la Chine est en train de s'ouvrir et qu'il est désormais possible de parler. Un peu.
Il est question d'inceste, de viols, d'ignorance et de misère sexuelle, de mariages arrangés (par le Parti, on n'est plus au Moyen-âge ! ah, ah), de séparations entre mère et fille, tout cela sur le fond de l'histoire toute récente de la Chine (et ce n'est pas le moins intéressant du bouquin).
Et notamment les drames nés pendant les terribles années de la Révolution Culturelle.
L'écriture est sobre et simple (Xinran est journaliste), le propos tout en retenue, entièrement au service de ces histoires crues, dures et vraies, qui se suffisent malheureusement à elles-mêmes.
La plus belle (sans doute parce que c'est la seule qui met en cause une catastrophe naturelle et non pas la noirceur humaine) est celle du tremblement de terre [extraits] :
[...] Ce matin-là, avant l'aube, j'ai été réveillée par un bruit étrange, un grondement et un sifflement, comme si un train était entré dans notre maison. [...] Tout est arrivé si vite. Je me suis traînée face au trou béant qui avait été l'autre moitié de ma maison. Mon mari et mes enfants s'étaient évanouis sous mes yeux. [...] 
Cela fait presque vingt ans maintenant, mais presque tous les jours à l'aube, j'entends un train qui gronde et qui siffle, et les cris de mes enfants. Parfois je suis si effrayée par ces sons que je me mets au lit très tôt et je glisse un réveil sous mon oreiller pour me réveiller avant. Quand il sonne, je m'assieds jusqu'à ce qu'il fasse jour, parfois je me rendors après quatre heures. Mais au bout de quelques jours de ce traitement, j'ai envie d'entendre ces bruits de cauchemar de nouveau, parce que j'y entends aussi les voix de mes enfants.
Ouf. Il faut avoir le coeur bien accroché pour aller au bout de cette douzaine d'histoires (comme autant de petites nouvelles, de petits reportages) et découvrir derrière ces épouvantables tranches de vie, la vie justement, la force vive qui a permis à ces femmes de traverser ces épreuves, d'y survivre ... et de les raconter.
Pour finir sur une note un peu plus légère, on relèvera quelques dictons et proverbes qui émaillent ce bouquin ... comme tout bon livre chinois :
Dans chaque famille, il y a un livre qu'il vaut mieux ne pas lire à haute voix. 
La première personne qui a mangé du crabe a dû aussi manger de l'araignée avant de se rendre compte que ce n'était pas bon. 
À la campagne, le ciel est haut et l'empereur est loin. 
L'argent rend les hommes méchants, la méchanceté rend les femmes riches. 
Les épouses des autres sont toujours mieux, mais les meilleurs enfants, ce sont les notres.      
L'eau porte le bateau, elle peut aussi le faire chavirer. 
Si vous vous tenez droit, pourquoi redouter que votre ombre soit tordue ? 
Le poulet dans se mangeoire a du grain, mais le pot à soupe n'est pas loin. 
La grue sauvage n'a rien, mais son monde est vaste. 
Il faut craindre les mains des hommes et la langue des femmes.
Et pour finir, en guise de conclusion et de résumé :
Les femmes sont comme l'eau et les hommes comme les montagnes. 
Les hommes ont besoin des femmes pour se former une image d'eux-mêmes - comme les montagnes se reflètent dans les rivières. 
Mais les rivières coulent des montagnes. Où est la bonne image ?
Mais quelle terrible image des hommes donne donc le miroir tendu ici par Xinran ?

Pour celles et ceux qui aiment les histoires vraies même quand elles sont terribles.Loutarwen et Lhisbei en parlent aussi.

Baka ! (Dominique Sylvain)

Une privée à Tokyo.

Dominique Sylvain est plus connue pour son polar Passage du Désir (qui ne nous avait pas laissé un souvenir impérissable, il y a quelques années déjà, avant l'ère du blog), mais on a bien voulu retourner à Tôkyô avec elle et son premier roman, Baka !, revu et corrigé dans une nouvelle édition.
Et ma foi, il faut bien avouer qu'on a été plutôt déçu par cet auteure que l'on compare ici ou là à Fred Vargas, bien à tort, selon nous.
C'est d'ailleurs plutôt de Léo Malet et Nestor Burma que se revendique la dame.
Quoiqu'il en soit, même si l'on avait pris soin de revêtir un de nos yukata ramenés de Nikko cet été et de siroter un verre de saké chaud, la magie ne nous a pas ramenés au pays des nippons.
Le bouquin accumule les clichés de la vision occidentale du pays du Soleil Levant : yakuza (la mafia locale), jôshi ou shinjû (double suicide amoureux) , katana (sabre), hikikomori (ados cloîtrés dans leur chambre avec internet), ... tout y passe !
Un peu comme si, à partir d'une liste de commissions, on avait essayé de bâtir une intrigue avec tout ça.
Et justement, du côté de l'intrigue (c'est un polar), on reste également sur sa faim sans croire un seul instant aux personnages insignifiants, aux péripéties rocambolesques de la française détective au Japon, ni aux multiples coups de théâtre qui clôturent ce voyage à Tôkyô.
Voilà un portrait peut-être trop sévère, j'en conviens.
Même si l'on devine ici ou là quelques traces de vécu authentiques (parapluies, bains, ... D. Sylvain a effectivement séjourné à Tôkyô), seule trouve grâce à nos yeux la capacité de l'auteure à parcourir et décrire les villes, qu'il s'agisse de Paris au début du livre ou de Tôkyô tout au long de l'histoire.
Après le détective privé de Nuit sur la ville de la semaine dernière, on relèvera juste qu'il est encore ici question de collusion entre business et élections politiques ... il y a peut-être quelque chose de pourri au royaume des sushis.
Heureusement que nos démocraties occidentales sont à l'abri de ce genre de soupçons !
[...] Un futon plié sur les tatamis tenait compagnie à un parapluie en plastique blanc et un vêtement de toile bleue. L'hôtesse expliqua qu'il s'agissait d'un yukata.
Elle lui fit traverser la cour silencieuse depuis que les roulements de tambour avaient cessé, lui montra une salle de bains à l'intéressante odeur d'humus, expliqua son utilisation à grand renfort de phrases roucoulantes qui mêlaient anglais et japonais. Louise comprit qu'il fallait se savonner et se rincer avant de faire trempette dans un énorme baquet fumant. La jeune femme lui remit la clé de sa chambre et s'en alla après un nouveau chapelet de formules aussi chantantes qu'incompréhensibles.

Pour celles et ceux qui aiment les images d'Epinal et de Tôkyô.

vendredi 30 novembre 2007

L'âme du chasseur (Deon Meyer)

Après Mandela.

Après Les soldats de l'aube, lu il y a quelques années (c'était avant l'éclosion de la blogoboule), voici L'âme du chasseur du même auteur sud-africain : Deon Meyer.
C'est écrit à l'américaine, vite fait bien fait, comme un scénario pour Hollywood.
On est donc bien loin des polars littéraires comme ceux que nous avons pu découvrir avec Mankell, Connelly, Indridason et d'autres, et le style relève plutôt du roman de plage ou de TGV.
Mais tout l'intérêt de ce bouquin (et il est d'un grand intérêt) vient du contexte dans lequel se déroule l'intrigue : l'Afrique du Sud d'après Mandela, l'Afrique du Sud d'aujourd'hui, celle d'après le 11 septembre 2001.
Les services de renseignement du nouveau régime (un nouveau régime qui peine encore à se mettre en place) livrent bataille alors que les plaies de la guerre civile sont encore bien loin d'être refermées.
[...] Miriam dévisagea Janina d'un air glacial, ses yeux, sa bouche, ses mains. 
- Je ne vous crois pas. 
Janina soupira. 
- Parce que je suis blanche ? 
- Oui. Parce que vous êtes blanche.
Et l'on devine derrière tout ça que d'autres (CIA, extrémistes islamistes, ...) éprouvent un malin plaisir à souffler sur les braises.
L'intrigue de base est plutôt simple (pour Hollywood sans doute !) : pour aider un ancien ami, un grand black, ancien militant (doux euphémisme) désormais rangé, se trouve embringué dans le convoyage de renseignements explosifs. Il se retrouve vite pourchassé par divers rapaces et enfourche une BMW GS avant de traverser tout le pays et le roman raconte cette course-poursuite à moto (l'auteur n'a peut-être pas une âme de chasseur mais assurément une âme de motard).
Mais P'tit (c'est l'ancien nom de guerre du héros) n'aime pas qu'on le chatouille quand il veut rendre service et il va vite retrouver ses anciens réflexes (c'était un ancien tueur à la solde du KGB).
Même si c'est plutôt bien ficelé, il n'y a pas là de quoi se triturer les méninges.
Du moins de ce côté.
Car ce n'est pas tout et au fil des pages et des flash-backs on découvre tout un monde : celui d'une Afrique du Sud plutôt méconnue, les accointances entre les services secrets d'ici ou d'ailleurs, les luttes raciales d'hier (Boers, Anglais et Xhosas) auxquelles répondent les intrigues intestines d'aujourd'hui.
Et ça, c'est passionnant.

Pour celles et ceux qui aiment la moto, les voyages et l'Histoire. 
Bleu et noir et l'Actu du Noir en parlent.

jeudi 29 novembre 2007

Nuit sur la ville (Hara Ryo)

Un privé à Tokyo.

Tous les ingrédients du polar américain sont là : le privé à moitié looser dans son bureau miteux, le flic vindicatif qui lui cherche des poux, les gros durs de la mafia qui forcément lui en veulent aussi, la belle héritière qui lui court après, le magnat richissime qui se cache derrière tout ça, les bagnoles et l'intrigue alambiquée qui mêle famille, business et élections municipales, ... tout y est !
[...] Je garai ma Blue Bird en marche arrière - un vrai miracle que cette voiture roule encore - , contournai l'immeuble de deux étages aux murs couverts de crépi et entrai par devant. Je sortis mon courrier de la boîte aux lettres à la serrure cassée et montai l'escalier menant à mon bureau, au premier étage au fond d'un couloir où le soleil ne pénétrait jamais.
À un détail près.
Un tout petit détail.
Le privé ne s'appelle pas Philip Marlowe mais Sawazaki de l'agence Watanabe et il n'enquête pas à Los Angeles mais à Tôkyô.
Car ce n'est donc pas du Raymond Chandler mais du Hara Ryô.
Bref, c'est un polar japonais où l'auteur s'amuse avec tous les clichés et les standards du roman noir. On est donc en terrain connu, balisé.
Et puis tout d'un coup, plouf, nous voici perdus parce que les personnages ont une réaction à peine compréhensible à nos yeux d'occidentaux. Et ça repart. Pour mieux s'étonner un peu plus loin de nouveau.
On ne sait trop sur quel pied danser et l'auteur semble s'amuser avec nous comme il s'amuse des codes de la littérature policière.
À vrai dire, le jeu est peut-être plutôt conçu pour des lecteurs nippons moins familiers des standards du genre, car il faut bien avouer que, une fois passé l'effet de surprise, on s'y est un peu ennuyé et on a eu du mal à se laisser emporter par l'intrigue tarabiscotée dans laquelle s'est laissé prendre le privé Sawazaki.
C'est tout de même l'occasion de découvrir les coulisses du pouvoir dans la métropole de Tokyo.
Une curiosité pour les accros du polar ou du Japon ou des deux.

Pour celles et ceux qui aiment les détectives du roman noir à l'américaine.

vendredi 23 novembre 2007

Une île sous le vent (Barbara Kingsolver)

Portraits de femmes.

Sympathique découverte (grâce à Katell, si je me souviens bien).
Après Brady Udall qui lâchaient ses chiens il y a quelques jours, voici un autre recueil de nouvelles venues des US : Une île sous le vent de Barbara Kingsolver.
L'écriture est plus posée, plus lente que chez B. Udall.
Les nouvelles sont un peu plus longues aussi.
Mais la règle est un peu la même : on plonge, le temps de quelques pages, dans l'instant d'une vie, entre un passé qui se découvre sous les mots et un futur qui se devine au fil des pages.
Mais si Udall le mormon photographiait des hommes (la plupart sans femmes), Barbara Kingsolver, à l'opposé, tire le portrait de femmes, de beaux portraits de femmes.
[...] Elle aimerait aller au cinéma voir de vrais flims mais Ed ne veut pas. « Attends quelques années, on les passera à la télé », dit-il systématiquement. Le noir et blanc et les coupes des scènes brûlantes ne semblent pas le gêner. Ils pourraient aujourd'hui s'offrir un nouveau poste, mais Ed prétend pouvoir deviner les couleurs absentes de l'écran. Il le «prouve» parfois en s'écriant « Tu vois, la chemise de ce type est verte. » Ou : « La fille est rousse. » Il lui arrive parfois de se tromper. Il a cru pendant des années le Peter Graves de Mission Impossible blond, jusqu'au soir où, regardant la télé chez Millie et Darel,  il le découvrit aussi blanc qu'un vieux monsieur. « Ton poste est mal réglé », s'obstinait-il à dire à Darrel, refusant d'admettre l'évidence.
Des portraits de filles, de mère, de femmes dont le couple se défait, ...
[...] Je conduis toujours la Pontiac que j'ai achetée il y a dix ans, mais six petits amis et un mari se sont succédés dans ma vie. Ce même mari, Buddy, que j'ai épousé et dont j'ai divorcé deux fois.
- Au moins tu peux compter sur ta voiture.

Après Katell, d'autres avis sur Critico-blog.

vendredi 16 novembre 2007

Hommes sans mère (Hubert Mingarelli)

Leçon d'humanité, leçon d'humilité.

Voilà une bien belle histoire et d'une bien belle écriture.
L'histoire est celle d'Hommes sans mère et la plume d'Hubert Mingarelli.
Difficile de résumer ce roman où, en 24 heures et 160 pages, il ne se passe finalement pas grand chose : deux marins en virée à terre, fuyant la promiscuité de leurs camarades en bordée, se mettent en quête d'une maison de filles ...
Sont-ils amis ou même simples camarades, eux-mêmes ne le savent pas trop,mais on les accompagne bien volontiers, et on fera avec eux la rencontre de quelques personnages bien vivants.
À l'exact opposé des proses alambiquées d'autres auteurs français à la mode comme Claudel ou Barbery, l'art de Mingarelli touche à la simplicité, presque au dépouillement : simplicité de l'histoire on l'a dit, simplicité de l'écriture, simplicité des hommes et de leurs sentiments à peine évoqués mais si fortement exprimés.
[...] ... Et puis, tu sais, il y a toujours un peu de lumière dans le poste, là où on dort, il fait jamais nuit, on y voit toujours un peu, et quand il sortait le bras de sa couchette  je voyais sa main, et c'est drôle mais quand tu vois tout le temps la main de quelqu'un d'aussi près, tu finis par avoir des sentiments pour lui, ou quelque chose qui ressemble à ça tu vois. 
Les dialogues, toujours très beaux, trahissent le même besoin d'épure :
[...] -Tes jambes sont très jolies. 
- Merci. 
- Je les aime beaucoup.  
- Je sais. 
- Comment peux-tu le savoir ? 
- Tu les as beaucoup regardées tout à l'heure.  
- Tu m'as vu les regarder ? 
- Oui, mais ça ne m'a pas gênée. 
Homer dit avec sincérité : 
- Mais je t'écoutais aussi. 
- Ça aussi je l'ai vu. C'est gentil. 
Une écriture aussi limpide, aussi transparente, ne cache donc rien de la profonde humanité des personnages. C'est un peu de la vie qu'il nous est donné à lire. Tout simplement.

Pour celles et ceux qui aiment les portraits de marins en gros plan.  
D'autres avis sur Critiques Libres.

La vie aux aguets (William Boyd)

W. Boyd s'essaie à l'espionnage.

Voilà-t-y pas que William Boyd s'essaie à l'espionnage ?
Avec La vie aux aguets (Restless en VO) il met en scène une Mata-Hari de la guerre (la world war two).
Enfin non, pas une Mata-Hari justement mais une femme tout à fait ordinaire, ou presque.
C'est sa fille, déjà maman d'un petit garçon, qui nous raconte l'histoire puisque 40 ans après la guerre, un beau jour sa mère décide de lui confier ses secrets.
  [...]« Est-ce que Papa savait ? » 
Elle marqua un temps d'arrêt. « Non, il n'a rien su. » 
J'ai réfléchi un moment, en songeant à mes parents et à la manière dont je les avais toujours regardés. Efface-moi le tableau, me suis-je dit. 
« Il n'a rien soupçconné ? Jamais ? 
- Je ne crois pas. nous étions très heureux, c'était tout ce qui importait. 
- Alors pourquoi as-tu décidé de me raconter tout ça ? De me livrer tes secrets, tout à coup ? » 
Elle a soupiré, jeté un coup d'oeil autour d'elle, agité les mains sans but, les a passés dans ses cheveux avant de tapoter des doigts sur la table. 
« Parce que, a-t-elle lâché enfin, parce que je crois que quelqu'un tente de me tuer. » 
Le livre passe d'une époque à l'autre et les chapitres alternent entre les années de guerre de la mère et la vie presque actuelle de la fille (fin des années 70, les années de la bande à Baader) qui découvre peu à peu le passé de son espionne de maman.
Bien sûr, présent et passé finiront par se rejoindre.
On n'a pas vraiment été enthousiasmé par le bouquin, peut-être parce qu'on n'a pas vraiment accroché à la vie rocambolesque (trop ?) de ces deux dames.
Pas franchement déçu non plus (le mot serait un peu fort) mais on en attendait un peu plus, c'est quand même un William Boyd.
Mais ce qui à nos yeux fait tout l'intérêt de l'histoire (de l'Histoire pourrait-on dire !) c'est bien le décor géo-politique de la partie espionnage : au tout début de la guerre, les anglais essaient à tout prix de persuader les américains de s'engager aux côtés de l'Europe.
On assiste à une véritable bataille de l'information et les services anglais imaginent toutes les infos et toutes les intox qui pourraient réveiller les américains, encore échaudés par la première guerre, et les amener à entrer dans la seconde.
L'héroïne du roman est précisément enrôlée dans l'un de ces services et chargée de préparer diverses vraies-fausses infos destinées à persuader les États-Unis de l'imminence du péril.
Comme on le sait, ce sera Pearl-Harbour qui fera basculer l'Histoire et la propagande britannique n'aura finalement pas pesé lourd. Mais ça, ils ne le savaient pas encore !

Pour celles et ceux qui aiment les belles espionnes. 
Agapanthe a beaucoup aimé et d'autres avis sur Critiques Libres.

vendredi 9 novembre 2007

Tsubaki (Aki Shimazaki)

Devoir de mémoire.

Tsubaki (camélia en japonais) commence comme un devoir de mémoire après les deux bombes d'Hiroshima et surtout de Nagasaki.
[...] - Grand-mère, pourquoi les Américains ont-ils envoyé deux bombes atomiques sur le Japon ? 
- Parce qu'ils n'en avaient que deux à ce moment-là, dit-elle franchement.
Mais derrière ce drame (qu'il nest cependant pas inutile de nous rappeler de temps en temps) s'en cache bien entendu un autre, plus intime.
[...] Je me rappelle ses paroles la veille du soir de sa mort : « Il y a des cruautés qu'on n'oublie jamais. Pour moi, ce n'est pas la guerre ni la bombe atomique. » Je me demande à nouveau ce qu'elle voulait dire par ces paroles.
À la mort de sa mère, une jeune femme héritera d'une curieuse lettre et repartira sur les traces du passé, jusqu'au jour précisément où sa mère ouvrit un sachet de cyanure, peu avant que la bombe ne tombe sur Nagasaki.
Il lui faudra une centaine de pages, où alternent le présent et le passé, pour découvrir les secrets de famille qui étaient restés enfouis sous les cendres de la bombe.
C'était le 9 août 1945.

Pour celles et ceux qui aiment les drames et les courtes histoires. 
Papillon en parle, comme Jules, Bellesahi ou Tamara. 
D'autres encore sur Critiques Libres. 
À noter que ce petit roman fait partie d'une série de cinq, intitulée « le poids des secrets » (à découvrir sur le blog de Clochette).

Crimes au bord de l'eau (Kerstin Ekman)

Double meurtre dans la forêt des lapons.

Crimes au bord de l'eau, voilà un bien curieux roman.
Un roman nordique où l'action se situe tout en haut de la Suède à la frontière norvégienne, tout près de la Finlande, là où vivent encore quelques «sames» (des lapons).
Un roman nordique où l'on retrouve une nouvelle fois la Saint-Jean et sa folie humaine (1), quand le soleil ne se couche plus et laisse peu de repos aux âmes. Un roman où la forêt est omniprésente, presque un personnage à elle seule. Et les forêts de là-haut, c'est autre chose que par chez nous ...
Un roman étrange, d'abord par l'écriture qui laisse libre champ à l'irruption du physique et des corps : quand les personnages ont froid, ont faim, quand il y en a qui saignent, d'autres qui puent, certains qui ont besoin de pisser, ou de baiser, d'autres qui se font bouffer par les moustiques.
[...] Il trouva vite un petit endroit où le fond de la rivière était dépourvu de cailloux, ce qui lui permit de poser ses pieds de manière stable malgré la vigueur du courant. Puis il se lava comme cela faisait une éternité qu'il aurait dû se laver. Au début le froid lui coupa le souffle, mais il s'habitua, respira moins vite. Se frotta avec les mains. Fit une nouvelle fois mousser le savon et se lava entièrement. L'aine, les bourses, entre les fesses. Sous les bras. Il frotta son cou et ses bras. Il s'accroupit et s'aspergea la tête. Il frotta le savon sur son crâne jusqu'à ce que la peau le brûle.
On peut lire ici ou que Kerstin Ekman est une auteure réputée pour explorer l'opposition entre nature et culture : ceci explique peut-être cela et nous donne un roman puissant à l'ambiance qui reste longtemps présente. Au centre de l'intrigue, la vie d'un village tout là-haut (dans une ambiance far-west du nord) avec un médecin à la prescription facile et au couple cahotant, une instit' en rupture de banc d'école, une famille de vauriens, une communauté babacool, une passagère inconnue, deux jeunes en camping, et tous les ingrédients qui font que cette nuit de la Saint-Jean ... Un roman étrange enfin par sa construction : deux parties, deux crimes.
Au beau milieu du livre, entre les pages 319 et 320, il s'est écoulé 18 ans.
Certains se sont mariés, d'autres se sont séparés. Tous ont vieilli.
Un second meurtre vient soudain rouvrir les plaies qui n'étaient pas tout à fait refermées et l'enquête sur le premier, jamais élucidé, alors qu'au village, 18 ans après :
[...] Personne ne parlait de ce qui s'était passé dans la nuit de la Saint-Jean.

Pour celles et ceux qui aiment les ambiances fortes, les forêts et les surprises littéraires.

vendredi 2 novembre 2007

Là-bas (Peter Cameron)

(soit dit entre parenthèses …)

C'est un cliché commun que d'évoquer la frénésie trépidante de la vie moderne pour justifier le besoin de s'évader un instant, de (se) mettre entre parenthèses, de suspendre le temps, ... mais il semble aussi que beaucoup d'œuvres s'en font l'écho : Ceux qui restent ou Old Joy au cinéma, Pays de neige sur le papier, pour ne citer que des découvertes récentes.
Peter Cameron avec Là-bas, ouvre une nouvelle parenthèse.
Une parenthèse dans la vie d'un jeune étudiant-écrivain, pas très à l'aise dans ses baskets, qui s'en va en Uruguay avec l'idée de pondre une biographie sur un romancier décédé, auteur d'un seul bouquin.
Une double parenthèse même puisque, si le héros fuit sa vie américaine c'est pour aller perturber celle de trois ou quatre autres personnages qui eux, vivaient en Uruguay comme suspendus entre parenthèses eux aussi, depuis le décès de l'écrivain : sa femme, sa maîtresse, son frère et l'amant de ce dernier (Peter Cameron appartient à la même génération d'écrivains américains et homos que Stephen Mc Cauley).

[...] Ils parcoururent en silence le reste du trajet et atteignirent le portail d'Ochos Rios. Je ne suis ici que depuis hier, songea Omar. Il avait l'impression que cela faisait des jours.
« Où sont les rivières ? demanda-t-il à Pete.
- Quelles rivières ?
- Les huit rivières. «Ochos Rios», ça ne signifie pas «Huit rivières» ?
- Si, dit Pete. Mais il n'y a pas de rivières. Ce n'est qu'un nom.»

Le temps de ce voyage, on brasse les cartes, on secoue la poussière accumulée sur le passé et les sentiments des uns et des autres.
Un roman tout en subtilité pour essayer de nous faire partager l'intimité de ces hommes et femmes.
Tout l'art des parenthèses est de savoir les refermer ... ce que Peter Cameron fera avec maîtrise.


Pour celles et ceux qui aiment les portraits américains.
Papillon et Incoldblog en parlent et d'autres sur Critico-blog.
Ce sera bientôt adapté au cinoche.
MAM a particulièrement aimé ce bouquin et c'est d'elle que vient l'étoile "best-of".