vendredi 15 décembre 2006

Terre des oublis (Duong Thu Huong)

Dernier roman de la vietnamienne Duong Thu Huong : Terre des oublis, qui avait été repéré dans la sélection "étranger" du prix Femina (voir aussi Wikipédia).
Ce gros pavé (qui se lit facilement, l'écriture sait rester simple) nous a emporté loin là-bas grâce à la puissance de ses évocations : bruits, odeurs, couleurs, saveurs, ... on découvre tous les détails pittoresques de la vie quotidienne des villages de ce Viêt Nam de l'immédiat après-guerre.
Comme dans la plupart des romans asiatiques on y parle beaucoup de nourritures et porté par toutes ces images savoureuses, on dévore le bouquin comme un polar.
L'histoire est celle d'amours tragiques (vers la fin du livre, les réunions du village formeront même une sorte de choeur antique) : un soldat rentre au bercail longtemps après avoir été donné pour mort. Sa femme (mais ils ne restèrent mariés que quelques mois juste avant la mobilisation) a depuis refait sa vie et file le parfait amour avec un autre homme.
La morale (qui est aussi sa morale) lui commandera de retourner vivre avec ce premier mari qu'elle avait oublié.
Les destinées de ces trois personnages (que l'on découvre tour à tour, dans toute leur complexité, grâce à d'amples flashbacks) basculent alors dans un enfer impossible dont on a hâte de découvrir l'issue, car comme le répète plusieurs fois le sergent : "dans la guerre, c'est le plus endurant, le plus obstiné qui gagne, dans la vie il en va de même car la vie est un combat." ...
[...] On dit que les femmes des régions de pêche sont particulièrement sensuelles parce qu'elles mangent plus de poisson que de riz. 
[...] En temps de guerre, le mariage ressemblait à l'accomplissement d'un devoir ou à un cadeau que les villageois offraient aux jeunes gens avant leur départ à la guerre. 
[...] Sa femme devient plus tendre que jamais, non pas de la tendresse d'une femme paisiblement installée dans son bonheur, mais de la tendresse désespérée, démente de celle qui sera bientôt chassée du paradis et qui le sait. 
[...] Quand on quitte la vie ce sont les membres qui refroidissent d'abord. Après viennent le ventre, la poitrine et la tête. Chez les hommes aimants, le coeur refroidit en dernier. Chez les hommes intelligents, la tête conserve les dernières chaleurs.
Enfin, je ne peux résister à l'envie de citer l'un des nombreux proverbes qui émaillent le récit (à prendre au second degré, mesdames) : Ah ces femmes ! Incapables de pisser plus haut que l'herbe, de penser plus loin que leurs cheveux (mais chacun sait que les vietnamiennes ont les cheveux très longs).

D'autres en parlent sur Agora.

jeudi 30 novembre 2006

L'homme qui marchait ... (Philippe Pollet-Villard)

En marge des prix littéraires de la rentrée, voici un "premier roman" qui était recommandé par de nombreux blogs et certains magazines.
L'homme qui marchait avec une balle dans la tête, de Philippe Pollet-Villard, nous raconte l'errance d'un petit braqueur de seconde zone, depuis son enfance d'immigré italien dans le XIII° à Paris, jusqu'à sa sortie de prison.
Une douce histoire, même si l'on y vole beaucoup et tue un peu, pleine de poésie loufoque, à l'image de cet homme qui finira par aller avec une balle dans la tête. Les effets de style sont parfois un peu trop appuyés (notamment dans la seconde partie du livre) mais voilà quand même un roman prometteur ...
[...] Elle aimait prononcer ce mot-là : fille de joie, et je ne crois pas qu'elle mettait une fonction particulière derrière ce terme, c'était juste l'image d'une fille légère, joyeuse. Ca devait exister quelque part, une sorte de femme qui lève ses jupons en chantant. C'était la poésie de Toulouse-Lautrec et le gangster idéal devait être pour elle, ma mère, une sorte d'Aristide Bruant, un homme toujours pressé avec un grand chapeau et une écharpe rouge nouée autour du cou.
[...] Tout ce qui coûtait cher nous intéressait. Il fallait consumer cet argent, lui faire payer violemment, le pulvériser, parce que le moment qui nous plaisait le plus était justement celui où nous sentions que l'argent viendrait à manquer. Nous aimions ça comme le bord d'une falaise.

vendredi 24 novembre 2006

La joueuse de go (Shan Sa)

La joueuse de go est un court roman qui prend pour toile de fond l'invasion de la Chine (de la Mandchourie pour être précis) par les japonais à la veille de la seconde guerre mondiale.
Les chapitres font alterner les deux "joueurs" : une jeune lycéenne chinoise, championne de go, qui découvre l'amour, et un officier japonais empêtré dans son honneur militaire.
Les deux protagonistes finiront par s'opposer au fil des jours tout au long d'une partie de go sur la place du village. Au-delà de ces deux personnages, c'est aussi deux cultures qui s'opposent : celle du Japon moderne et conquérant et celle de la Chine traditionnelle.
Une écriture très accessible (Shan Sa est une chinoise exilée en France qui écrit en français) pour découvrir nos "voisins" de l'extrême-orient.

Voir aussi La porte de la paix céleste, lecture suivante.

samedi 18 novembre 2006

La femme de Bratislava (Leif Davidsen)

Nous continuons notre exploration de la littérature nordique après les polars polaires dont nous avions déjà parlé avec Mankell ou d'autres et reparlé avec Indridason. Cette fois, nous vous proposons un petit tour du côté du Danemark avec Leif Davidsen et un roman qui s'apparente plus à l'espionnage qu'au polar proprement dit : La femme de Bratislava.
On y apprend beaucoup beaucoup de choses : tout d'abord sur nos voisins danois et leur mode de vie qui nous rappelle bien souvent le notre. Sur leur histoire récente également, notamment pendant les années sombres de la dernière guerre et la collaboration avec les nazis (tiens, là aussi, cela nous rappelle quelque chose).
Et puis sur la guerre froide avec les pays de l'est (le roman nous promène en Pologne, en Tchéquie et bien sûr à Bratislava en Slovaquie).
Et pour finir sur la guerre toute récente des Balkans en future-ex-Yougoslavie (Kosovo, Albanie) : les danois furent en effet partie prenante des forces de l'OTAN.
Et apparemment, ce n'est pas l'épisode dont Leif Davidsen est le plus fier.
Un roman qui est donc aussi une leçon d'histoire et de géopolitique.
Un roman d'espionnage on l'a dit, mais aussi une histoire de famille, vue à travers les 3 personnages principaux : le héros (universitaire ex-gauchiste), sa sœur (activiste et féministe) accusée d'intelligence avec l'ennemi et enfin le policier de service qui tentera d'éclaircir quelques mystères.

vendredi 10 novembre 2006

Les miscellanées de Mr. Schott (Ben Schott)

En cette période où l'on nous rebat les yeux et les oreilles de prix qu'on court, ne manquez pas cet étrange ovni qui vient d'atterrir sur les étagères des librairies : Les Miscellanées de Mr. Schott, un petit bouquin qui bénéficie d'une pertinente traduction et d'une mise en page délicieusement rétro !
Le livre qui s'avère immédiatement tout à fait indispensable et absolument inutile : si on devait n'emporter qu'un seul bouquin sur notre île déserte, ce serait sûrement celui-ci !
Un petit livre rouge à laisser en évidence sur la table du salon (comme une boîte de toffees anglais) pour y picorer un peu de poésie au gré de nos humeurs, puisqu'il est fait, comme le dit son auteur, de "petits riens essentiels", "amusettes insignifiantes et futiles".
C'est également un remède efficace : deux ou trois pages le matin au réveil, deux ou trois listes le soir au coucher, et voici votre santé mentale assurée grâce au mélange du bon docteur Schott.
On y découvre ou redécouvre au hasard (pour l'oublier aussitôt) :
  • les 3 rois mages et leurs cadeaux, les 4 cavaliers de l'Apocalypse, les 5 prénoms du club des cinq, les 6 femmes d'Henri VIII, les 7 merveilles du monde antique, les 8 voyages de Gulliver, les 9 muses, les 10 plaies d'Egypte, les 11 pays membres de l'OPEP,  les 12 travaux d'Hercule, ...
  • les échelles de Scoville, Mohs, Glasgow, Fujita-Pearson, Beaufort, Richter, Mercalli, Turin, ...
  • les présidents des US, les maris de Liz Taylor, les films de James Bond avec les James Bond Girls et les voitures de 007 (bref, la quintessence de la culture occidentale), les différents types de sushis, les degrés de la franc-maçonnerie, les décimales de Pi, les pays où l'on roule à gauche, les gagnants de l'Eurovision, ...
  • On y apprend ce que sont : un éthylabélophile, un vaticide, un réhoboam, un triskaïdékaphobe, un kakistocrate, un myriagone, un yottamètre, un colombier belge, une roquille, un vol de nuit, ...
Les plus branchés pourront poursuivre sur la liste des listes de Wikipédia.

Dans le même ordre d'idée, on pourra lire La liste des listes de Sébastien Ripari (publié chez Alternatives). Les énumérations de Ripari n'atteignent cependant pas la poésie du fourre-tout de Mr. Schott et le résultat est en fait un livre ... plus utile, et partant ... moins indispensable !
On y découvre (par exemple) les 7 archanges, les 7 collines de Rome, les 7 mercenaires, les 7 merveilles du monde (encore !), les 7 nains de Blanche-Neige, les 7 péchés capitaux, les 7 poêtes de la Pléïade, les 7 sommets des 7 continents, etc ...
Et plus loin (puisque l'ouvrage est numériquement ordonné) : les 12 mois du calendrier républicain, les 12 apôtres, les 12 tribus d'Israël, etc ...

vendredi 3 novembre 2006

Pars vite et reviens tard (Fred Vargas)

La sortie prochaine au cinéma (janvier 2007) de Pars vite et reviens tard vient d'être l'occasion de relire le polar éponyme de Fred Vargas.
Le style un peu appuyé de la dame et les effets parfois un peu forcés peuvent agacer mais à petite dose, un polar de temps en temps ne se refuse pas. Et celui-ci est sans doute l'un des meilleurs.
Le commissaire Adamsberg (qui sera incarné à l'écran par José Garcia), personnage récurrent des polars de Fred Vargas, vaut assurément le détour par Paris puisque c'est dans ce grand village que se déroulent la plupart de ses enquêtes. Pars vite et reviens tard se situe plus précisément au cœur de "notre" quartier et nous entraîne sur les traces des anciennes épidémies de peste.
- Tu sais Camille, que le jour où Dieu créa Adamsberg, Il avait passé une fort mauvaise nuit.
- Ah non, dit Camille en levant les yeux, je ne savais pas.
- Si. Et non seulement Il avait mal dormi, mais Il se trouvait à court de matériel. Si bien que, comme un étourdi, Il alla frappé chez son Collègue pour lui emprunter quelque attirail.
- Tu veux dire ... le Collègue d'en-bas ?
- Evidemment. Ce dernier se jeta sur l'aubaine et s'empressa de lui procurer des fournitures. Et Dieu, hébété par sa nuit blanche, mélangea le tout inconsidérément. De cette pâte, Il tira Adamsberg. Ce fut vraiment un jour pas ordinaire.
- Je n'étais pas au courant.
- Ca traîne dans tous les bons livres, dit Danglard en souriant.
[...]
Dès son réveil et sans bouger de son lit, son premier regard fut pour sa fenêtre. Il pleuvait. Adamsberg replia ses bras sur ses yeux et se conforta dans son intention de ne pas foutre un pied à la Brigade.

Pour suivre : le film Pars vite et reviens tard avec José Garcia.

vendredi 27 octobre 2006

BD : Tramp

On aime beaucoup Tramp, une excellente BD d'aventures avec un agréable dessin "à l'ancienne" (on songe un peu à Tardi mais en plus clair et plus lisible).
Un polar au scénario bien construit qui fourmille d'informations et qui nous plonge dans le milieu des affaires de la marine marchande dans les années 50 après-guerre : un "tramp", c'est un cargo qui cabote de port en port à la recherche d'une cargaison.
Au gré des escales et des albums, les aventures du héros vont ici de magouille en arnaque.
Les volumes 1 à 4 s'appuient sur une excellente intrigue d'escroquerie à l'assurance aux multiples péripéties. Les tomes 5 et 6 marquent un peu le pas malgré des voyages instructifs en Afrique et la série redémarre en Indochine avec le volume 7 (le 8 est à suivre ...).
Comme d'habitude, une planche de la BD à découvrir derrière l'image et un site qui présente un résumé et d'autres planches encore.

dimanche 1 octobre 2006

BD : Alpha

Des histoires d'espionnage avec Alpha, un agent de la CIA qui enquête dans les coulisses du pouvoir : agents doubles ou triples et taupes en tout genre ... apparemment la guerre froide n'est pas finie même si le mur de Berlin n'est plus là.
Les trois premiers tomes racontent une même histoire de Paris à Moscou : du trafic de roubles en dollars, sorte de thriller politico-économique. Tout au long de ces trois albums, les personnages et le scénario ont le temps de s'installer.
Les tomes suivants relatent d'autres épisodes presque indépendants, avec des scénarios plus classiques (mais ça reste toujours très bon).
Une planche de la BD derrière l'image à gauche.

La femme en vert (Arnaldur Indridason)

On avait déjà cité Arnaldur Indridason parmi les auteurs de polars venus du froid scandinave.  traduction de l'islandais : un polar, un roman plutôt, rude et sombre (il y est beaucoup question de violence familiale) comme les paysages d'Islande.
Une histoire oppressante qui fait resurgir les fantômes du passé des uns et des autres. Et La femme en vert, confirme qu'Indridason est bien digne du meilleur Henning Mankell (celui des débuts).
D'ailleurs c'est sans doute un signe, l'inspecteur Erlendur d'A. Indridason et le Wallander de H. Mankell partage tous les deux un divorce ainsi que des relations difficiles et conflictuelles avec leur propre fille !
- J'avais juste envie de te voir, interrompit-elle. J'avais juste une putain d'envie de voir de quoi tu avais l'air.
- Et alors, j'ai l'air de quoi ? demanda-t-il.
Elle le fixa du regard.
- D'un pauvre type, répondit-elle.
- Bon alors, nous ne sommes pas très différents l'un de l'autre, rétorqua-t-il.
Elle le dévisagea un bon moment et il eut l'impression qu'elle souriait.

Pour suivre : la voix, du même auteur.

mardi 26 septembre 2006

BD : Les eaux de Mortelune

Poursuivant notre saison BD Clin d'oeil, nous avons dépoussiéré de nos étagères une série qui nous avait transportés il y a maintenant une dizaine d'années : bonne pioche, tant il est vrai que le charme a de nouveau opéré.
Les eaux de Mortelune nous plongent avec effroi dans un Paris d'après cataclysme (Lyon apparaitra dans l'album n° 4) où les pluies acides détruisent bâtiments, bêtes, hommes et mutants, et l'on y découvre peu à peu notre futur univers.
Tout y est redevenu moyen-âgeux sous la coupe du Duc Malik et du Prince Jérôme de Mortelune, deux débauchés qui détiennent les clés du pouvoir sur cette terre dévastée : le carburant et l'eau douce.
L'intrigue progresse au fil des albums et le n° 5 offre une belle fin poétique mais plutôt pessimiste à cette histoire pour adultes.
Les numéros 6 à 10 tentent avec moins de succès de faire littéralement revivre les personnages.

samedi 23 septembre 2006

BD : Le tueur

Un polar en BD à ne pas manquer avec la série Le tueur qui nous plonge dans les états d'âme d'un tueur très ordinaire et très professionnel.
Un dessin moderne et original (on vous propose une planche derrière la vignette à gauche) mais qui reste très lisible et un texte fort bien construit, digne des meilleurs polars : rien à jeter dans cette série de 5 albums qui sort de l'ordinaire et qui a le mérite de réhabiliter une profession trop longtemps méconnue !
Quelques citations :
Mon idée de la gentillesse, c'est de foutre la paix aux autres, et tout ce que je demande, c'est que les autres me foutent la paix. Tous les autres.
... Pas la peine de me parler de justice ou de morale. Même Dieu je ne le crois pas. Chez moi, il a un casier.
... Moi je n'obéis à personne, je ne crois en personne, et je ne réponds de mes actes à personne. Mon seul mobile pour faire ce que je fais, c'est l'argent.
... J'aide les richards à s'entre-tuer. Les pauvres, eux, ils n'ont pas les moyens. Ils font ça eux-mêmes. Et après, ils finissent leur vie en taule.

BD : Monster

Attention, risque d'accoutumance !

Oubliez vite qu'il s'agit d'un manga et la consonnance japonaise du nom de l'auteur Naoki Urasawa.
Ne vous arrêtez pas au titre non plus, car Monster est véritablement une excellente bande dessinée (primée au Japon et parue en français chez Kana).
Le dessin (même s'il est en noir et blanc) est plus fouillé qu'il n'y parait, les dialogues sont fort bien écrits, et l'intrigue de ce thriller s'avère au fil des 18 volumes (ben oui, quand même !), riche et complexe à souhait.
Les mangas sont aux albums BD un peu ce que les séries télé sont au film en technicolor : Naoki Urasawa profite donc de la liberté du format manga publié en épisodes pour construire savamment son intrigue et développer d'agréables digressions qui sont autant de promenades où apparaissent de multiples personnages souvent très attachants. Le suspense, et parfois l'émotion, de chaque épisode nous tiennent en haleine jusqu'au suivant.
L'action de ce polar se déroule principalement en Allemagne (et autres pays de l'est) avec en décor la chute du Mur de Berlin, la réunification allemande, les néo-nazis ...
Monster constitue aussi un accès facile à l'univers des mangas : c'est quand même un vrai manga, en noir et blanc et qui se lit de droite à gauche. A découvrir absolument !

jeudi 14 septembre 2006

La promesse de Shanghaï (Stéphane Fière)

Toujours pour accompagner les photos de notre périple en Asie, voici le roman d'un auteur français, Stéphane Fière, qui vit actuellement en Chine, à Shanghai.
Son roman décrit la vie des paysans pauvres victimes de la corruption et des expropriations, devenus des "émigrants de l'intérieur" et qui viennent chercher du travail dans les grandes villes, en l'occurrence dans le bâtiment à Shanghai. La promesse de Shanghai c'est en quelque sorte, l'envers du décor du boom économique de la Chine.
La suite du roman décrit avec beaucoup d'ironie l'ascension sociale du héros et toutes les petites magouilles qui lui permettent peu à peu de s'en sortir.
On y découvre également les occidentaux (et les français) vus au travers des yeux chinois : décapant, même si parfois le trait semble un peu forcé.
L'écriture simple de Stéphane Fière et l'humour de son bouquin en font une lecture très facile.
Ici à Shanghai pas de pitié inutile : le gros poisson gobe le petit poisson qui avale les crevettes, le camion écrase la voiture qui écrase la moto qui écrase le piéton.
... Ensuite nous nous promenons le long de la rue Xizang et dans le marché aux oiseaux j'achèterai pour elle un grillon adulte et son panier en osier, il crissera du matin au soir pour que je me souvienne de cette journée.
... Ces amis étrangers, tout de même, comment peuvent-ils s'imaginer un seul instant que nous allons nous laisser prendre par leurs pièges grossiers et jeter par dessus bord nos six mille années d'histoire et le flamboiement de notre prodigieuse civilisation pour un bout de pain sans goût, un peu de leur verroterie, les gadgets peinturlurés de leurs techniciens ou des marchandises dont nous n'aurons jamais le moindre besoin. C'est certain ils nous prennent pour des japonais.

La Chine à petite vapeur (Paul Theroux)

Après avoir traversé la Chine à pied avec Ma Jian sur les chemins de poussière rouge, voici de quoi la parcourir de nouveau en train avec Paul Theroux et son roman : la Chine à petite vapeur.
Cet américain globe-trotter a livré de nombreux récits de ses voyages et son parcours en train dans la Chine de Deng Xiaoping (il y a près de vingt ans) est d'une belle écriture.
Le récit de ses rencontres pittoresques dans les gares, les wagons ou les villes est pimenté d'un humour très caustique et on ne s'y ennuie pas un instant.
Paul Theroux est parti de Londres pour gagner Pékin par le transmongolien : c'est donc tout naturellement ce livre qui nous aura accompagnés tout au long de notre voyage en Asie.
Theroux devra finir son voyage en voiture pour gagner Lhassa au Tibet (on est en 1986) et il aura ces mots prémonitoires alors que, vingt ans plus tard, la Chine vient tout juste d'inaugurer le train Qinghai-Tibet (le dernier tronçon Golmud-Lhassa vient d'ouvrir en juillet 2006), le train le plus haut du monde :  
Mais la raison principale pour laquelle le Tibet reste si peu développé et si anti-chinois - et si totalement démodé et plaisant -  c'est qu'il est l'une des seules merveilles de la Chine qui ne soit pas desservie par le chemin de fer. La chaîne du Kunlun garantit que le train n'atteindra jamais Lhassa.
D'autres extraits à déguster avant le voyage :
Il ne suffit pas aux chinois d'avoir levé l'interdiction de la publicité commerciale ; ils ne se contentent pas de coller des affiches ou de dresser des enseignes; ils préfèrent le contact direct - prendre le touriste par le bouton de sa veste, importuner le péquenot qui débarque de son lointain Gansu, hurler dans les porte-voix, agiter des drapeaux sous votre nez.
... Dans la plupart des autres pays , un bosquet, une prairie ou même un désert définit un paysage; si bien que vous associez immédiatement le pommier avec le Canada, le chêne avec l'Angleterre, le bouleau avec l'Union Soviétique et le désert et la jungle avec l'Afrique. Mais rien de tel ne nous vient à l'esprit en Chine, où la caractéristique la plus commune et la plus manifeste d'un site est un être humain - habituellement une foule d'êtres humains. Chaque fois que je contemplais un paysage, il y avait un être humain qui me rendait mon regard.
... Les chinois, dans leur innocence, viennent regarder les étrangers comme on va au spectacle.

lundi 28 août 2006

BD : Aldebaran

 
Encore une BD de science-fiction chez Dargaud avec le cycle d'Aldebaran du brésilien Léo qui signe les dessins et le scénario.
Une BD à l'atmosphère indéfinissable, faite d'un peu de naïveté : au fil des pages les ados comme les adultes se laissent prendre au charme de l'histoire et des personnages perdus sur leur lointaine planète.
A tel point que nous allons embarquer pour le second cycle avec la saison qui s'intitule Bételgeuse (à suivre donc ...).

Depuis, la suite avec Bételgeuse.


mardi 25 juillet 2006

BD : Le chant des Stryges

Cet été sera donc placé sous le signe de la BD.
Depuis quelques jours et sur les conseils de Jean-Marie, on dévore, lit et relit la série du Chant des Stryges (édition Delcourt, dessins Guerineau, scénario Corbeyran).
Dès le troisième tome, une fois tous les acteurs mis en scène, le suspense ne nous lâche plus ... Au fil des retournements de situation, nos héros (dont la belle Debrah qui apparaissait mystérieusement sur notre blog depuis quelques jours) traquent les créatures malfaisantes en évitant les méandres des multiples complots ...
Il ne s'agit pas véritablement de science-fiction (on est en 1997) et les rebondissements de la longue série des albums (le n° 10 paraitra en septembre) brouillent les pistes pour notre plus grand plaisir : expériences de l'armée, extra-terrestres, sorcellerie, manipulations génétiques, ... ?
Le dessin clair et agréable (on vous a préparé une planche extraite, derrière l'image de l'album à gauche) reste au service du scénario d'un véritable thriller et le côté vampirique et fantastique des Stryges sait se faire discret au bénéfice d'un suspense plus réaliste et très prenant.
Sur Wikipédia, plus d'infos sur les véritables stryges, celles de la mythologie.

mardi 18 juillet 2006

Thomas Savage

L'ouest sauvage de Savage.

La sortie du dernier roman de Thomas Savage Rue du Pacifique, chez Belfond, est l'occasion de lire ou relire les deux précédents parus chez 10/18 : La Reine de l'Idaho et Le Pouvoir du Chien.
Thomas Savage y dépeint , avec un style et une écriture très évocateurs et avec une fausse simplicité déconcertante, des familles animées par la force et la passion des sentiments non dits. Avec en toile de fond le décor de l'enfance de T. Savage : les paysages des Rocheuses de l'ouest américain et l'histoire récente des US.
Avec La Reine de l'Idaho, son roman le plus accessible, on aura du mal à décrocher de l'histoire de toute une famille, une véritable saga avec une galerie de savoureux portraits à travers plusieurs générations.
Le drame raconté par Le pouvoir du chien est plus âpre et plus dur. La tension croît lentement mais inexorablement jusqu'au dénouement et laissera longtemps son empreinte : c'est sans aucun doute son roman le plus fort, c'est aussi son premier succès.
Son dernier roman, Rue du Pacifique, s'avère moins prenant mais c'est celui qui décrit avec le plus de détails savoureux et d'anecdotes les thèmes récurrents des romans de T. Savage : le cheminement des Etats-Unis vers la modernité depuis le far-west, la ruée vers l'or et l'expropriation des indiens jusqu'à la récession de 1929 en passant par l'arrivée de la pub, du train, de l'automobile, de la radio et ... de la première guerre.

"Ma femme lisait. Elle lit sans arrêt. Elle avait lu Guerre et Paix après son accouchement de notre premier garçon, car à cette époque on gardait les femmes au lit pendant dix jours ; elle avait recommencé après l'accouchement de notre deuxième, mais déjà les hôpitaux estimaient qu'il était absurde d'être alité aussi longtemps. Au moment de la naissance de notre fille, les hôpitaux avaient tellement réduit la période de repos que ma femme eut à peine le temps de finir La Maison d'Apre-Vent de Dickens."

"Phil eut un instant envie de se lever et de féliciter George de ne pas l'avoir déçu, d'être bien comme il l'avait espéré, comme il l'avait cru, comme il avait su qu'il était. Mais évidemment il ne l'avait pas fait, parce qu'il n'y avait jamais eu de sentiment exprimé entre eux par des mots et qu'il n'y en aurait jamais. Leur relation n'était pas fondée sur la parole. Phil n'avait encore jamais connu qui que ce soit qui puisse se permettre de trop parler sans être un pauvre imbécile."
"[...] Il s'interrompit et la regarda.
- Est-ce que je parle trop ?
- J'adore t'entendre parler.
- Je ne voudrais pas prendre l'habitude de trop parler, tu sais.
"

"[...] Elle était certaine qu'il n'avait pas révélé à George qu'elle buvait, et elle sentait que Phil savait que le non-dit est plus fort que la chose dite. Car elle l'avait surpris en train d'observer avec une patience curieuse, comme un chasseur à l'approche."

"Quand il observait la rue depuis le premier étage de l'hôtel Shenon House, il avait un privilège dont il ne se doutait pas, celui d'assister à un spectacle qui ne se reproduirait jamais plus ailleurs qu'au cinéma : il voyait une rue où le nombre d'automobiles était pratiquement le même que celui des chevaux."

mercredi 12 juillet 2006

Murakami Ryû

Japonaiseries.

Encore des japoniaiseries avec Murakami Ryû (à ne pas confondre avec son homonyme Murakami Haruki qui fait l'objet d'une critique dans le Télérama de ce 15/7 - à lire également mais plus difficile d'accès, on en reparlera sans doute).
De Ryû donc, on a lu avec plaisir Kyoko, une sorte de road movie d'une japonaise aux US, un roman hanté par le sida.
Ainsi que Raffles Hotel (l'hôtel de Singapour qui hébergea récemment la délégation parisienne pour la sélection des JO mais cela n'a rien à voir avec le livre !). Murakami Ryû excelle dans l'art de raconter une même histoire vue au travers des différents prismes de chacun des acteurs.

"Ce qui est déterminant dans la préparation d'un bon cocktail, c'est l'espace entre l'alcool et la glace. Du point de vue de la physique c'est impossible de laisser un espace. Ce qu'il faut pour agiter le mélange et faire que l'alcool et la glace se séparent, c'est une sorte de méchanceté. Si on a l'esprit mou et aqueux, on ne peut faire que des cocktails aqueux."

"Dans les moments importants de la vie, j'ai pour habitude de préparer une petite conclusion adaptée à la situation."

"Elle a souri d'un air heureux. Pourtant elle ne savait pas encore qu'elle était en route vers le futur. Elle ignorait que le futur, c'est perdre ce qu'on a maintenant, et voir naître quelque chose que l'on n'a pas encore."

"Il n'y a que deux sortes d'hommes : ceux qui se sentent plus forts quand ils ont tué un ennemi sur le champ de bataille et ceux qui se sentent plus forts quand ils en reviennent vivants et peuvent boire une bière."

"J'ai décidé de me comporter pendant un certain temps comme une collégienne de province qui en fait de sac ne connait que les marques Vuitton et Loebe. C'était l'attitude la plus commode."

"Pour apprendre à bondir de plus en plus haut, les ninjas sautent au-dessus d'un arbre qui pousse de quelques centimètres par jour. Leur capacité à bondir augmente mais la taille de l'arbre aussi."

BD : Tokyo est mon jardin

Encore une BD originale : une histoire d'amour dans Tokyo au quotidien.
Frédéric Boilet, un français expatrié au Japon, est l'auteur de Tokyo est mon jardin chez Casterman (entre autres albums).
Dans un style qui reste très accessible même s'il est proche des mangas, teinté d'un érotisme très léger, il met en images des histoires du Japon (et des japonaises !) de tous les jours. Mieux qu'un guide de voyage.
Une planche derrière l'image à gauche et d'autres infos sur Wikipédia.

Pour suivre : l'adaptation de quartier lointain.

mardi 20 juin 2006

BD : Berceuse assassine

Il est rare qu'on parle de BD, alors c'est que celle-ci doit valoir le coup : Berceuse Assassine (scénario de Philippe Vandevelde alias Philippe Tome, dessins de Ralph Meyer, chez Dargaud).
Cet excellent polar paru en 1997 comprend  3 tomes qu'il faut lire ou relire intégralement puisque basés sur le principe "une histoire peut en cacher une autre" : chaque volume raconte (presque !) la même histoire vue par une personne différente. Si vous voulez en savoir plus sur le scénario (mais ce serait dommage de déflorer le sujet et de gâcher l'effet de surprise) quelques sites : ici et .
... Si je me souviens, c'est cette nuit-là que j'ai décidé de tuer Martha.Juste après avoir quitté Arthur au Café Caliente...
Cliquer sur l'image pour avoir un aperçu du dessin qui rappelle Sin City (même si l'on passe ici du rouge au jaune !).

vendredi 2 juin 2006

Donald Westlake

Sous le pseudonyme de Richard Stark, Donald Westlake a signé là une série de polars "vite lus, bien lus", idéale pour les plages de l'été !
Chez Rivages Noir, Comeback, Backflash, Flashfire (notre préféré) et Firebreak quatre polars sur le thème du "coup du siècle", à chaque fois conduit avec la désinvolture qui sied à l'humour pince sans rire de Donald Westlake et de son héros cynique : Parker. Sans prétention mais efficace.
Quelques balles pas perdues pour tout le monde :

Elle se leva et regarda l'océan.
"Ils vont vraiment faire ça à votre avis ? Venir par la mer ?"
"C'est leur style."
"Comme James Bond ?"
"Plutôt comme Les Dents de la Mer."
...
Le type mit le contact. "Eh oui mon vieux, dit-il alors que le moteur démarrait, tout le monde est mort. Il y a juste des gens qui ne le savent pas encore".
...
Leslie dit : "Je me demande ce que vous avez l'intention de faire demain."
"Tuer des gens", répondit-il à voix basse.
...
L'autre croisa ses deux mains sur son ventre à l'endroit où la balle avait pénétré. Il fixait sur Parker des yeux ternes et incrédules.
- Bon, dit Parker, maintenant on peut discuter.

mardi 30 mai 2006

Quelques bonnes nouvelles

De bonnes nouvelles aujourd'hui !
Côté Asie bien sûr, avec une centaine de pages glacées de Yoko Ogawa (une japonaise couronnée de nombreux prix littéraires) intitulées : l'annulaire. Une histoire d'amour et de fascination entre une jeune femme et un taxidermiste un peu spécial ... (publié chez Babel).
"Ici, le travail n'est pas aussi compliqué qu'il n'y parait. Il suffit d'un peu d'ordre et de circonspection pour s'en acquiter sans problème. Il est même presque trop simple."
"Cela fait déjà un certain temps que le laboratoire existe, et jusqu'à présent la plupart des jeunes filles sont parties en moins d'un an. Enfin, je me demande si le mot partir est exact."
Et du côté France, avec deux nouvelles de Maylis de Kerangal publiées chez Verticales : Ni fleurs ni couronnes, suivi de Sous la cendre. Une écriture très recherchée (avec même quelques tics, mais qui passent bien dans ces courtes histoires), une écriture sensuelle qui dit le langage des corps et des désirs dans une nature mortifère : l'océan pour ni fleurs ni couronnes et le volcan Stromboli de sous la cendre.
Ni fleurs ni couronnes a pour décor le naufrage du paquebot Lusitania coulé près de l'Irlande par les allemands en 1915.
"Une livre pour un noyé. C'est ce que ça rapporte. Une livre égale un cadavre. Un cadavre égale une livre. Pas de quoi se creuser la tête."
"Alors ils temporisent. Occupent la nuit comme ils occupent le morceau de terre où ils se sont assis, cherchent des gestes à faire pour leur corps, pour leurs mains et pour leurs pieds, grattent la terre avec le bout de leurs chaussures, y tracent machinalement des signes avec des brindilles, cueillent des feuilles de bambou qu'ils déchirent dans le sens des fibres."
Et pour finir, Béatrice Hammer (chez Mercure de France) nous livre, sous le titre de l'une d'elles : L'homme-horloge, quelques histoires d'amour des gens très très ordinaires (certaines romantiques, d'autres inégales, mais plusieurs valent le détour).
"Il y a des histoires d'amour qui ne commencent jamais, et qui mettent toute une vie à se terminer".

lundi 8 mai 2006

Chemins de poussière rouge (Ma Jian)

Aux éditions de l'Aube, un passionnant et autobiographique récit de voyage : Chemins de poussière rouge de Ma Jian, un chinois exilé à Londres avec donc une écriture tout à fait occidentale.
Dans les années 1980, Ma Jian est un intellectuel dissident à Pékin, et pour fuir les tracasseries politiques, il se lance dans un périple à travers la Chine de Den Xiaoping : un voyage très pittoresque, riche de culture et vraiment passionnant dans les profondeurs de l'immense Chine, du Pacifique aux déserts et jusqu'aux confins du Tibet.
Un roman qui vient en contrepoint des romans policiers de Qiu Xiaolong et en écho au film Shanghaï Dreams.
Quelques extraits apéritifs :
"L'homme qui dort dans le lit à côté du mien ronfle bruyamment. Il va finir par me rendre fou. Il est chauffeur routier. Il a toujours peur que quelqu'un lui vole son essence la nuit, il a donc roulé ses barils jusque dans le dortoir. Les vapeurs sont asphyxiantes. Je pars demain dès que je me lève."
"C'est agréable de passer une journée à écrire des lettres. On a l'impression de voyager à travers l'espace."
"Ma pauvreté me permet de me déplacer aussi librement qu'une feuille au vent, mais, parfois, j'aimerais qu'une pierre me tombe dessus et me cloue au sol."
"Je me souviens de la légende des collines au Sable chantant. Une armée de guerriers impériaux campait une nuit dans le désert et une soudaine tempête de sable les enterra vivants. On raconte que, si le vent souffle dans la bonne direction, on peut entendre les fantômes des soldats hurler à l'intérieur des dunes."

samedi 15 avril 2006

Mort d'une héroïne rouge (Qiu Xiaolong)

Voyage en Chine avec les polars de Qiu Xiaolong.
Un régal (et d'ailleurs on y parle beaucoup de cuisine !) avec moult détails savoureux sur la vie à Shanghaï sous Den Xiaoping : cuisine et gastronomie donc, crise du logement, difficultés de transports, corruption, politique et omni-présence du Parti, bouleversements de la Chine moderne, ... tout cela vient enrichir de manière pittoresque les enquêtes policières de l'inspecteur Chen Cao.
Pour commencer la série : Mort d'une héroïne rouge puis Visa pour Shanghaï, sortis en poche chez Point-Seuil (les plus récents sont chez Liana Levi).
Pour accompagner les yeux avec les oreilles : Nine million bicycles in Beijin de Katie Mellua (album Piece by piece).

D'autres détails chez un libraire et d'autres avis sur Agora.